Chaque année, le Gouvernement wallon doit soumettre un rapport à la sous-commission de contrôle des licences d’armes du Parlement wallon. Celui-ci contient les données relatives aux exportations, aux importations et aux transits d’armes civiles et de produits liés à la défense de, vers et par la Région wallonne. Une fois le rapport soumis au Parlement, il est rendu public et accessible en ligne sur le site du gouvernement wallon[1]. Le rapport relatif aux exportations de l’année 2016 a fuité dans la presse avant d’avoir été présenté au Parlement[2] (pour une analyse du rapport consulter l’Éclairage « Les transferts d’armements de la région wallonne en 2016 : synthèse du rapport annuel »). Si les rapports annuels de la Région wallonne contiennent des informations utiles, plusieurs améliorations sont nécessaires en matière de périodicité, de contenu et de lisibilité.
Des informations insuffisantes et peu lisibles
Les rapports annuels préparés par l’administration wallonne fournissent certaines informations sur les décisions prises l’année précédente en matière d’octrois et de refus de licences d’exportations, de transits et d’importations d’armes. Des précisions sont apportées quant au nombre et à la valeur totale des licences d’exportation accordées ainsi que leur ventilation par pays de destination et par type d’armement[3]. La structure du rapport actuel n’a fait l’objet d’aucune révision majeure depuis 2005. Optant pour une lecture assez restrictive du cadre légal[4], le Gouvernement wallon estime que celui-ci comprend « tous les éléments devant faire l’objet d’une analyse annuelle »[5]. Si la publication d’information sur les licences d’exportation octroyées peut être utile pour comprendre la manière dont les critères de la Position commune sont interprétés et appliqués par les autorités, elle n’est pas suffisante et ne permet nullement de savoir si des transferts ont effectivement eu lieu. Des informations détaillées sur la valeur, le type, la quantité et la destination des exportations effectives d’armement sont essentielles, mais pourtant absentes des rapports annuels wallons. Depuis la régionalisation de la compétence sur le contrôle des exportations d’armes en 2003, aucun détail n’est plus communiqué sur les exportations effectives. La Région wallonne ne fournit qu’un montant global annuel se basant sur plusieurs sources d’information, sans aucun détail sur la valeur, le type, la quantité et la destination.
Seule une dizaine de pays de l’UE ne fournissent aucune information détaillée sur leurs exportations effectives. Cette situation peut s’expliquer par une volonté de confidentialité, un manque de volonté politique ou un manque de moyens humains et techniques. Idéalement, ces données devraient pouvoir être récupérées à partir des bases de données des douanes. Cela permettrait par ailleurs d’assurer un contrôle supplémentaire en vérifiant si les déclarations douanières correspondent bien à des licences valides. Mais cette méthode est rendue techniquement difficile de par la manière dont sont organisées les bases de données au niveau national et par le système de classification des biens et des services utilisé par les douanes, qui diffère de la liste de contrôle des équipements militaires de l’UE[6].
Cependant, des alternatives existent. Le gouvernement suédois a par exemple fait le choix de demander aux entreprises de fournir des informations détaillées sur les exportations effectives[7]. Rien ne semble empêcher la Région wallonne de faire de même. Conformément aux dispositions du Décret du 21 juin 2012 et en application de la Directive européenne sur les transferts d’armes au sein de l’UE[8], les entreprises wallonnes du secteur de l’armement communiquent déjà chaque année au gouvernement des informations détaillées sur leurs exportations effectives à destination des pays de l’UE : la description du produit, la quantité et valeur, les dates de transfert, l’utilisation finale et l’utilisateur final[9]. Exiger ces informations pour les exportations effectives hors de l’UE et les intégrer dans ses rapports ne devrait pas représenter un défi humain ou technique insurmontable pour le gouvernement ni un préjudice pour les entreprises wallonnes.
Enfin, la Région wallonne applique l’arrangement de Wassenaar relatif au contrôle des exportations des armes conventionnelles. Celui-ci vise notamment à prévenir les risques d’accumulations potentiellement déstabilisantes d’armes. Seules des données précises quant aux quantités et au type d’armement effectivement exportés peuvent fournir les éléments objectifs nécessaires à la Région wallonne pour mener une analyse du risque d’accumulations déstabilisantes.
Parution des rapports : trop peu, trop tard
La Région wallonne prépare deux types de rapports : un rapport annuel et deux rapports semestriels confidentiels et plus succincts. Par souci de transparence et pour permettre au Parlement d’effectuer leur travail d’analyse et de contrôle, les rapports devraient être préparés et présentés dans un délai raisonnable. Or, les rapports annuels de la Région wallonne paraissent généralement entre six mois et un an après la période couverte, c’est-à-dire bien trop tard. Le problème est similaire pour les deux rapports semestriels, dont la confidentialité devrait par ailleurs être levée. Enfin, la périodicité des rapports actuels est insuffisante. Toujours dans un impératif de transparence et afin de permettre le contrôle et les interpellations du Parlement, le Gouvernement wallon devrait assurer la publication mensuelle des données relatives aux autorisations ou refus d’exportation, d’importation ou de transit. Ces données devraient inclure le type, le nombre et la valeur des licences, la description des matériels par catégories ML, et l’identification des pays concernés par la transaction (destination finale et, le cas échéant, pays d’origine et pays de transit).
La mission de contrôle du Parlement
Des rapports complets, détaillés et réguliers sont une garantie de transparence et un outil essentiel pour permettre au Parlement d’évaluer les décisions prises par le gouvernement et ainsi assurer sa mission de contrôle et d’interpellation. Au-delà de rapports réguliers et détaillés, certains États européens, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, ont décidé d’opter pour plus de transparence et d’informer directement le Parlement après chaque décision importante en matière d’exportation d’armes. Les parlementaires peuvent également être consultés, si nécessaire de manière confidentielle, avant la prise de décision, comme c’est le cas en Suède[10]. Un renforcement de l’information et du pouvoir de contrôle de la sous-commission de contrôle des licences d’armes du Parlement wallon est possible et souhaitable. Des rapports de qualité doivent également permettre à une organisation comme le GRIP de réaliser un travail d’analyse et d’information, et à la société civile d’assurer son rôle de contre-pouvoir et de susciter les débats nécessaires.
Un exemple de rapport détaillé : les Pays-Bas
Les Pays-Bas publient chaque année un rapport annuel sur l’état de leurs exportations d’armes et d’équipements militaires. Ce rapport annuel complète un rapportage mensuel des licences d’exportation d’armes, des licences d’exportation de biens à double-usage et des licences de transit délivrées par les autorités néerlandaises. Ces rapports sont disponibles publiquement sur le site du ministère des Affaires étrangères néerlandais[11]. Les Pays-Bas sont également un des pays qui transmettent chaque année les données sur leurs exportations effectives d’armements à l’Union européenne.
La politique des Pays-Bas en faveur d’une plus grande transparence remonte à 2011 et aux « Printemps arabes ». Face aux évènements, et donnant suite à des demandes du Parlement néerlandais, les autorités en charge de l’octroi des licences d’exportations d’armes (ministères de l’Économie et des Affaires étrangères) ont décidé de renforcer la transparence du système[12]. Le délai entre l’octroi des licences et le rapportage trimestriel était de sept mois, il a été ramené à un rapportage mensuel avec un délai de moins de deux mois, notamment grâce à la mise en place d’un système automatisé de traitement des demandes de licences au niveau des Douanes. Pour les cas sensibles[13], la demande passe par le ministère de Affaires étrangères et le Parlement est informé via une procédure accélérée (deux semaines maximum après l’octroi de la licence). S’il n’est pas associé à la décision sur l’octroi de la licence, le Parlement est informé des raisons qui ont conduit à l’octroi de la licence et peut exercer son pouvoir de contrôle.
La partie consacrée aux licences d’exportations dans le rapport annuel est assez succincte puisque des rapports mensuels plus détaillés sont disponibles. Les rapports mensuels sont publiés sous forme d’un fichier Excel cumulatif reprenant toutes les licences accordées depuis 2004. Les données publiées comprennent une description précise des biens concernés par la licence, le type de licence, la durée du transfert (définitif ou temporaire), le pays d’origine (dans le cas d’un transit), de destination et de destination finale, la valeur de la licence et sa date d’expiration.
Le rapport annuel des Pays-Bas comporte également une partie détaillée sur les refus de licence. Les cas de licences refusées comportent une description des biens, le pays de destination, le destinataire (entreprise ou gouvernement), le destinataire final et le critère de la Position commune de l’UE[14] ayant justifié le refus de licence. Le rapport annuel néerlandais pour l’année 2016 comporte également une nouveauté, à savoir un aperçu des licences générales de transfert accordées sous le régime de la directive européenne simplifiant les conditions des transferts de produits liés à la défense dans la Communauté[15]. Trois catégories sont ainsi mises en lumière, les transferts à destination des forces armées des pays de l’UE, les transferts réalisés par des entreprises certifiées et les transferts dans le cadre du programme d’avion de combat F-35. Les questions parlementaires liées au contrôle des exportations d’armes et de biens à double usage sont également listées à la fin du rapport.
Des améliorations possibles et souhaitables à la Région wallonne
Sans que cela ne représente un défi humain ou technique majeur pour le gouvernement wallon, ni un préjudice pour les entreprises wallonnes, apporter des améliorations en matière de périodicité, de contenu et de lisibilité des rapports de la Région wallonne sur les exportations d’armements, ainsi qu’un renforcement de l’information et du pouvoir de contrôle du Parlement sont à la fois possibles et souhaitables.
Les auteurs
Denis Jacqmin est chercheur au GRIP dans l’axe « armes légères et transferts d’armes ». Il a travaillé pour le SPF Affaires étrangères dans le domaine de la PESC (2010-2012). Il a ensuite été observateur international pour les missions EUMM Georgia (2012-2013) et SMM Ukraine (2014-2015).
Christophe Stiernon est chargé de recherche au GRIP pour le projet « Armes légères et transferts d’armes ». Il travaille en particulier sur les questions liées au contrôle des transferts d’armes et les instruments internationaux de contrôle des armes légères et de petit calibre.
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Rapports de la Région wallonne sur les exportations d’armes : Incomplets, trop rares et trop tardifs
[2]. François-Xavier Lefèvre, Les Saoudiens aiment les armes wallonnes, mais…, L’Écho, 28 juin 2017.
[3]. La Région wallonne utilise les catégories de la liste commune des équipements Militaires (ML) de l’Union européenne. Les rapports annuels contiennent également des informations sur le nombre et la valeur totale des licences d’exportation refusées, ventilés par pays ; le nombre et la valeur totale des licences d’importation accordées et refusées ; le nombre et la valeur totale des licences de transit accordées, ventilés par pays de destination ; et le nombre de licences d’exportation et de licences de transit accordées par catégorie d’utilisateur final (public ou privé) ventilé par zone géographique.
[5]. Rapport 2016 sur l’application du Décret du 21 juin 2012, p. 3.
[6]. Sibylle Bauer, Mark Bromley et Giovanna Maletta, Workshop: The implementation of the EU arms export control system, Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), 30 mai 2017.
[7]. Sibylle Bauer et al., op. cit.
[9]. Décret du 21 juin 2012, op. cit., art.12, §3, 1°-5°.
[10]. Sibylle Bauer et al., op. cit.
[11]. Voir https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/exportcontrole-strategische-goederen/rapportages-dual-use-en-militaire-goederen. Outre des mesures favorisant la transparence envers le Parlement, les contrôles du transit et du transbordement ont été renforcés ainsi que l’application des critères 2 (droits de l’homme), 3 (situation intérieure) et 8 (développement humain) de la Position commune.
[12]. Voir Brief van de Staatssecretaris van Economische zaken, landbouw en innovatie en de Minister van Buitenlandse zaken aan de Voorzitter van de Tweede Kamer der Staten-Generaal, La Haye, 10 juin 2011.
[13]. Selon la législation néerlandaise, un cas sensible est défini comme la combinaison des éléments suivants : une première demande de licence par un opérateur, une exportation définitive, un système d’armes complet et une valeur seuil de cinq millions d’euros (ramenée par la suite à deux millions d’euros).
[14]. Position commune 2008/944/PESC du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires.