Le Traité sur le commerce des armes reconnait à tous les États le droit à la légitime défense et l’intérêt légitime d’acquérir des armes pour exercer celui-ci. Les transferts autorisés d’armements conventionnels majeurs ont d’ailleurs bondi de 8,4 % entre 2007-2011 et 2012-2016[4]. Mais combien de ces transferts autorisés sont responsables ? Et combien peuvent-être qualifiés d’irresponsables ?


Le Traité sur le commerce des armes (TCA) est un traité multilatéral juridiquement contraignant adopté en avril 2013 et entré en vigueur en décembre 2014. Celui-ci vise à réguler le commerce international des armes conventionnelles – des armes légères aux chars d’assaut en passant par les avions de chasse, les bateaux de guerre et les missiles – selon des « normes communes les plus strictes possibles ». Il compte 92 États parties et 38 pays signataires sur un total de 194 membres des Nations unies[5].


Un traité qui peine à montrer ses effets

À écouter les déclarations de nombreux États exportateurs parties au TCA aux premiers jours de la conférence (CSP3), il ne serait aucunement question de remettre en cause les pratiques existantes ou de douter du caractère responsable de leurs décisions en matière de transferts d’armements. L’enjeu de la conférence et du Traité résiderait uniquement dans sa mise en œuvre : entendez la mise en place d’un régime de contrôle national efficace, notamment une liste nationale de contrôle, et la désignation des autorités compétentes (TCA, art. 5). Pourtant, depuis l’entrée en vigueur du Traité en décembre 2014, de nombreux États parties présentés comme des exemples en matière de régime de contrôle national ont autorisé d’importants transferts d’armements vers des zones de conflits, des pays en guerre ou des régimes brutaux. Ces transferts sont-ils tous vraiment responsables ? N’y avait-il jamais un risque de mauvais usage ou de détournement ? Du Yémen au Soudan du Sud, en passant par la Syrie et la Libye, le TCA semble avoir jusqu’à présent le plus grand mal à faire évoluer les pratiques et empêcher des transferts d’armements irresponsables.

Bien que le nombre important d’États parties et de signataires témoigne d’une réelle inquiétude quant à l’impact dévastateur du commerce irresponsable des armes, le Traité souffre de l’absence remarquée de quelques poids lourds du commerce international des armes, en premier lieu l’Arabie saoudite, la Chine, les États-Unis[6], l’Inde, le Pakistan et la Russie. Sans eux, ce sont plus de 60 % des transferts internationaux d’armes qui échappent au TCA. Ensuite, contrairement à ce que certaines déclarations peuvent laisser penser, les États parties au Traité sont loin d’être, ou d’être devenus, des exportateurs d’armes exemplaires. Le Traité exige que les États respectent et fassent respecter le droit international humanitaire (DIH) et des droits de l’homme (DIDH). Pourtant, les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis se sont poursuivies, malgré leur utilisation au Yémen ou leurs transferts en Syrie ; à l’Égypte et au Bahreïn malgré une violente répression de leur population ; aux Philippines malgré une meurtrière campagne anti-drogue. Les exemples sont nombreux. Quatre ans après son adoption, les effets du TCA peinent donc à être visibles tant le commerce international des armes continue imperturbablement d’avoir des conséquences sécuritaires, sociales, économiques et humanitaires dévastatrices aux quatre coins du monde.

Les questions qui dérangent

Malgré les appels répétés de la société civile et d’un petit nombre d’États, les discussions autour du TCA évitent d’entrer dans la substance et d’aborder les questions qui dérangent : comment les États parties interprètent-ils de bonne foi et mettent-ils en pratique les articles 6 et 7 du TCA, ceux-là même qui doivent prévenir les violations du DIH et du DIDH et réduire les souffrances humaines ? Lors de précédentes conférences et jusqu’au sein du groupe de travail sur la mise en œuvre effective du Traité, les discussions se limitent le plus souvent à des questions techniques et de procédures. Bien entendu, aborder la question centrale de la mise en œuvre du Traité et du respect des obligations des États n’est utile que si cela s’accompagne d’actions concrètes par les États, actions qui se font attendre. Pour œuvrer à des transferts internationaux d’armes qui sont responsables, les États parties devront dans un premier temps impérativement passer par la case transparence.

Plus de transparence

Améliorer la transparence dans le commerce des armes conventionnelles est en effet un des principaux objectifs du TCA et une étape indispensable vers l’action responsable des États. La transparence passe en partie par la soumission de rapports annuels sur les exportations et les importations d’armes qui sont complets, exhaustifs et publics. Ces rapports doivent notamment permettre de renforcer l’information et la capacité de contrôle des parlements nationaux et permettre à la société civile d’assurer son rôle de contre-pouvoir. Ils doivent également illustrer des comportements responsables. Le chemin des États parties vers davantage de transparence est encore long. À l’ouverture de la CSP3, à peine la moitié des États avaient respecté leurs engagements en matière de rapportage pour les transferts d’armes de l’année 2016[7]. Et parmi les États ayant soumis un rapport, neuf ont choisi d’utiliser la possibilité qui leur est offerte de garder confidentielle une partie ou l’entièreté de leur rapport[8]. On peut regretter ce choix qui paraît en contradiction avec l’objet même du traité. Ensuite, pour les rapports soumis et rendus publics, de nombreuses améliorations restent souvent nécessaires pour assurer qu’ils soient cohérents, pertinents et utiles, en particulier en ce qui concerne les transferts d’armes légères et de petit calibre.

Un échec est possible mais n’est pas permis

Alors que la CSP3 n’avait pas encore ouvert ses portes, de nombreux acteurs et observateurs s’inquiétaient de voir ces réunions annuelles sur le TCA devenir des chambres d’entérinement qui viendraient seulement codifier et normaliser les pratiques existantes. Si le TCA ne parvient pas à faire évoluer durablement les pratiques, notamment en matière de rapportage, si des États parties continuent de juger responsables les transferts d’armes vers des zones de conflits, des pays en guerre ou des régimes brutaux en sachant pertinemment bien la destruction et la souffrance humaine qui en découleront, alors il y a des raisons de s’inquiéter. Il n’est pas sans risque que le Traité échoue à devenir cet instrument imaginé pour permettre de lutter efficacement contre les transferts irresponsables d’armes. En cas d’échec, les victimes sont déjà connues.

Si le TCA n’est certainement pas la panacée et si les conférences des États parties ne seront probablement jamais le théâtre de révolutions, le processus a au moins le mérite d’exister. Il doit permettre de créer des espaces où, espérons-le, toutes les parties pourront entendre les attentes, les contraintes, les problèmes et les espoirs des uns et des autres dans le but de travailler à des solutions réalistes et réalisées. Et si ce n’est que de manière partielle et perfectible, le TCA a également le mérite de sortir de l’ombre une activité commerciale et politique à haut risque qui ne doit plus pouvoir se cacher derrière le sceau de la sécurité nationale et d’intérêts stratégiques.

Parce que les enjeux de la mise en œuvre du TCA dépassent le cadre strict du commerce des armes, et parce que le contrôle des armes impacte directement les questions de développement et la réalisation des Objectifs de développement durables, il est crucial pour les États parties de prendre leurs responsabilités, et en particulier les États exportateurs puisqu’ils sont ceux qui autorisent les transferts des moyens par lesquels de graves violations du droit international humanitaire, des droits de l’homme et des graves violences liées au genre peuvent être commises.

L’auteur

Christophe Stiernon est chargé de recherche au GRIP pour le projet « Armes légères et transferts d’armes ». Il travaille en particulier sur les questions liées au contrôle des transferts d’armes et les instruments internationaux de contrôle des armes légères et de petit calibre.

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[1]. Communément appelée CSP3 ou Third Conference of States Parties en anglais.

[2]. Le texte intégral du Traité sur le commerce des armes en français est disponible sur le site du Secrétariat du TCA.

[3]. Small Arms Survey 2007: Guns and the City, Chapter 3: Probing the Grey Area: Irresponsible Small Arms Transfers, p. 74.

[4]. Les « armements conventionnels majeurs » englobent, selon le SIPRI, les aéronefs, systèmes de défense anti-aérienne et sous-marine, véhicules blindés, artillerie, systèmes radar, missiles, navires, moteurs, satellites et autres mais ne comprennent pas les armes légères et de petit calibre, les pièces d’artilleries d’un calibre inférieur à 100 mm ainsi que les munitions. Aude Fleurant et al.Trends in International Arms Transfers, 2016, SIPRI Fact Sheet, février 2017.

[5]. Site du Secrétariat du Traité sur le commerce des armes. Page consultée le 12 septembre 2017.

[6]. Les États-Unis sont signataires du TCA mais en l’absence de ratification, il n’y a aucun engagement de leur part pour respecter les dispositions du Traité.

[7]. 38 États sur un total de 75 qui devaient soumettre un rapport annuel en 2017.

[8]. Le Panama et le Sénégal ont choisi de garder leur rapport annuel 2017 confidentiel. La Bosnie-Herzégovine, la Finlande, la Grèce, l’Italie, la Suède, la Macédoine et l’Uruguay ont indiqué avoir omis certaines informations jugées sensibles.