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Alors que l’insécurité maritime se confirme comme l’une des menaces majeures à la sécurité et à la stabilité économique du Golfe de Guinée, tant pour les États du littoral que ceux enclavés dans l’arrière-pays qui dépendent du commerce maritime, l’augmentation rapide des actes de piraterie et de brigandage maritime a pris de court plusieurs pays de la sous-région…

Cet éclairage a été publié dans le numéro spécial du magazine Diplomatie d’octobre 2016, consacré à la sécurité maritime et au développement en Afrique. Ce numéro spécial, bilingue, sera distribué au sein des milieux diplomatiques en marge du Sommet de Lomé qui se déroulera le 15 octobre 2016.

En juin 2013, les dirigeants des Communautés économiques des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Afrique centrale (CEEAC) ainsi que la Commission du golfe de Guinée (CGG), réunis à Yaoundé au Cameroun, ont posé les bases d’une stratégie régionale commune aux deux sous-régions. Le Sommet de Yaoundé s’était notamment soldé par l’adoption d’un Code de conduite relatif à la prévention et la répression des actes illicites perpétrés dans l’espace maritime du golfe de Guinée. Largement inspiré du Code de conduite de Djibouti relatif à la répression de la piraterie dans l’océan Indien et dans le golfe d’Aden, le Code de conduite de Yaoundé constitue la base juridique de la coopération entre les États signataires des deux régions. Ce code définit les modalités d’intervention, le partage des responsabilités et l’organisation pratique de la lutte contre les activités maritimes illicites en Afrique de l’Ouest et du centre. En vigueur dès le 25 juin 2013, ce code n’était qu’un pré-accord, appelé à devenir contraignant après une période de trois ans, le temps d’une évaluation et d’amendements éventuels. Un Mémorandum d’entente et une Déclaration politique avaient également été adoptés. Le Mémorandum, signé par la CEDEAO, la CEEAC et la CGG, organise les relations entre les centres régionaux de sécurité et sûreté maritimes. Tandis que la Déclaration des chefs d’État confirme leur appui politique.
L’architecture de la sûreté et sécurité maritimes inspirée des actes de Yaoundé, se compose du Centre interrégional de coordination (CIC), structure d’échange d’information et de coordination, qui fait la jonction entre le Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique centrale (CRESMAC) et le Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest (CRESMAO). L’espace côtier des deux communautés économiques est subdivisé en zones maritimes opérationnelles, dont les activités sont coordonnées au sein des centres multinationaux de coordination (CMC). Le CRESMAC(1)  et le CRESMAO(2)  couvrent respectivement deux et trois centres multinationaux de coordination (CMC), correspondant au nombre des zones maritimes opérationnels de leur ressort.
Au niveau national, il est prévu un centre des opérations maritimes (COM) par pays qui doit regrouper, en plus de la marine nationale qui assure la coordination, les acteurs majeurs de l’action de l’État en mer (la police maritime, les douanes, la pêche et la protection de l’environnement). Les structures de la CEEAC connaissent un début de fonctionnement avec la nomination du directeur du CRESMAC basé à Pointe-Noire (Congo-Brazzaville). Le CRESMAO prévu à Abidjan (Côte d’Ivoire) est encore à l’étape de projet(3). De manière générale, l’opérationnalisation des structures semble contrariée par l’insuffisance des ressources et l’absence d’un mécanisme pérenne de financement(4). Ainsi, à peine inauguré en septembre 2014, le CIC a connu l’éviction de son directeur, au terme d’une polémique sur la gestion des premiers fonds alloués par le gouvernement camerounais à la phase de démarrage du centre(5). De plus, trois années après le Sommet de Yaoundé, le Code de conduite signé par les parties prenantes n’est toujours pas devenu contraignant. Comme le souligne Samuel Nguembock, « l’un des écueils récurrents dans la construction du multilatéralisme sécuritaire dans le golfe de Guinée est lié à la capacité et à la volonté des États riverains de coopérer entre eux en dépit des initiatives et de l’appui technique, opérationnel des puissances étrangères et des instances multilatérales mondiales »(6).

Les enjeux du Sommet de Lomé

L’un des premiers défis du Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur « la sécurité et la sûreté maritimes et le développement en Afrique », convoqué à Lomé le 15 octobre prochain, est de déjouer l’enlisement du processus de Yaoundé. L’ambition affichée est désormais l’adoption d’un nouvel instrument juridique, une charte africaine, qui vise à concilier la coordination harmonieuse et efficace des interventions des États en mer, aux objectifs du développement économique et social. La Charte de Lomé s’inscrit dans l’optique de la stratégie maritime africaine à l’horizon 2050, dont l’objectif est également de faire de l’espace maritime l’un des principaux leviers du développement économique et social de l’Afrique. La particularité du Sommet de Lomé est de mettre en balance les enjeux sécuritaires de la mer et les enjeux de développement. Les opérateurs économiques seront ainsi associés au processus.
Au-delà de la seule piraterie, le Sommet de Lomé couvrira par conséquent toutes les formes de criminalité en mer(7), et préconisera des mesures, en amont, pour décourager les actes illicites en mer. Actuellement, toutes les initiatives sont uniquement orientées vers la détection et la répression de ces actes. Enfin, contrairement au code de conduite de Yaoundé, qui ne concernait que les pays du golfe de Guinée, la Charte de Lomé se projette à l’échelle continentale.
Toutefois, en dépit des efforts entrepris au niveau des États pour se doter de structures institutionnelles spécifiques dédiées à la gestion des questions maritime(8) , l’opérationnalisation de cette ambitieuse architecture maritime africaine semble encore un objectif à long terme. Elle dépend non seulement du renforcement de la coordination et de l’harmonisation des législations aux niveaux interétatique et interrégional, mais aussi de la délimitation des frontières maritimes. Le soutien des partenaires techniques et financiers s’avère indispensable pour la viabilité d’un système intégré de sécurité régionale. Un autre des défis majeurs est celui d’un risque d’inertie et de lourdeur décisionnelle, avec la démultiplication de structures dont l’articulation pourrait s’avérer problématique.
Le parcours de la Force africaine en attente (FAA) en est une illustration, avec la décision de l’UA de construire une Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (CARIC), alors même que l’opérationnalisation de la FAA tarde à se concrétiser. La création du CIC reconduit dans une certaine mesure ce scenario, au moment où les efforts de réforme et de renforcement des capacités entrepris, tant au niveau des États que des structures régionales se sont pas encore achevés »(9). Dans le sillage du Sommet de Lomé, l’UA et ses composantes régionales seront sans doute appelées à repenser le rôle et l’articulation de certaines structures du dispositif de sureté et sécurité maritimes. En effet, tant l’OMAOC(10) , que la CGG(11) , auraient pu prétendre au rôle de coordination de la stratégie maritime intégrée, dévolu au CIC, en raison d’une interdépendance croissante des tous les enjeux maritimes (commerce, sécurité, environnement, etc.). Nombre d’experts estiment qu’au lieu de créer le CIC, la CEEAC et la CEDEAO auraient pu responsabiliser l’OMAOC pour faire la jonction entre le CRESMAO et le CRESMAC. Par ailleurs, la dévolution des missions de coordination et des capacités opérationnelles à un nombre d’instances limités, réduirait la contrainte financière qui pèse sur la plupart des États membres du fait de leur appartenance à plusieurs organisations régionales, au sein desquelles ces pays sont soumis au principe d’un financement par contribution nationale. Dans l’immédiat, l’urgence est à la fois au renforcement de la présence en mer des pays riverains, sans pour autant négliger les causes profondes de l’insécurité maritime.

L’auteur

Michel Luntumbue est chargé de recherche au GRIP dans l’axe Conflit, sécurité et gouvernance en Afrique subsaharienne.
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[1]. Le CRESMAC couvre deux zones maritimes : la zone D avec le CMC situé à Douala (Cameroun)et la zone A avec un CMC dont l’installation est prévue à Luanda (Angola).

[2]. Selon certaines indiscrétions la CEDEAO pourrait revoir son architecture pour loger la Guinée (Conakry) dans la zone G afin que ce pays accueille le CMC de ladite zone. Accra au Ghana a déjà été désigné pour accueillir le CMC de la zone F.

[3]. Seuls les CMC de Douala au Cameroun (zone D) et de Cotonou au Bénin (zone E) sont opérationnels.

[4]. Lors de la réunion extraordinaire de haut niveau consacrée au CIC, en février dernier, il avait été recommandé que les États membres fournissent 40 % des ressources nécessaires, qui seront complétées par les partenaires bilatéraux et internationaux. L’opérationnalisation du centre étant prévue entre juillet et décembre 2016.

[5]. Jean-Bruno Tagne, « Flou, les 310 millions de la discorde », Le Jour, 15 décembre 2015.

[6]. Samuel Nguembock, « La construction du multilatéralisme sécuritaire dans le golfe de Guinée », Institut portugais des relations internationales, juillet 2014.

[7]. Le trafic de drogues, la pêche illicite, le déversement illégal de déchets toxiques, le trafic d’armes et de migrants ou encore la traite des personnes.

[8]. Création de préfectures maritimes et d’un organisme national chargé de l’action de l’État en mer au Bénin, au Togo, au Sénégal, etc.

[9]. Samuel Nguembock, « La construction du multilatéralisme sécuritaire dans le golfe de Guinée », Institut portugais des relations internationales, juillet 2014.

[10]. En charge des questions de transports maritimes et d’environnement marin, depuis 1975, l’OMAOC s’intéresse de plus en plus aux questions de sécurité et de sûreté maritimes, avec son projet de développement d’un réseau de garde-côtes et d’intégration des différentes instances de l’action de l’État en mer.

[11]. Chargée de l’arbitrage des litiges territoriaux dans le domaine maritime du golfe de Guinée, mais dépourvue de capacités opérationnelles, la CGG pourrait se voir déposséder de ses prérogatives, voire disparaître. Les conflits de délimitations des frontières maritimes pourraient se régler dans les CER et mécanismes régionaux.