Jihan Seniora a contribué à la revue Les Cahiers de l’Orient en présentant un article sur les exportations européennes d’armements vers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Lorsque l’on s’attarde sur les exportations européennes d’armements classiques de ces dernières années vers les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, l’on se rend bien vite compte que les pays européens semblent largement soumis, voire aveuglés, par leurs intérêts économiques. Ceux-ci les poussent inconditionnellement à vendre des armes à des pays souffrant, pour la plupart, d’un important déficit démocratique et peu respectueux des droits humains.
Le gain économique pour les Européens est réel : les sommes d’argent que certains pays de cet ensemble géographique sont prêts à investir dans l’achat d’équipements militaires sont faramineuses, presque indécentes, mais rendues possibles par des rentes pétrolières quasi illimitées. Les pays de la région sont bien sûr tous différents l’un de l’autre, avec des dynamiques internes et économiques très variables. Mais il existe un point commun à ces États : un respect des droits humains souvent médiocre. Le Printemps arabe en est la parfaite illustration : la vigueur de la répression étatique dans divers pays a été inouïe, perturbante, choquante. Ils n’ont pas hésité à utiliser la violence armée de manière excessive face à des manifestations pacifiques. Et pour mener la répression à bien et violer des droits humains les plus fondamentaux afin de garantir la survie de régimes dictatoriaux à bout de souffle, des armes européennes ont été largement utilisées.
Alors que la réglementation européenne en matière d’exportations d’armements encourage les États européens à la prudence afin d’éviter ce genre de situations, on ne peut que se montrer sceptique quant à leur capacité à faire preuve de retenue et de jugement critique lorsque leurs intérêts économiques sont en jeu. Et cela, au détriment du bien-être et de la sécurité des populations civiles des pays récipiendaires des armes européennes et, parfois, de la stabilité de toute une région.
Cet article dresse un panorama des exportations d’armes des pays membres de l’Union européenne (UE) vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient entre 2007 et 2009. Après avoir présenté la réglementation européenne, il met en évidence la part importante que représente cet ensemble géographique dans les exportations totales d’armes. Il se base sur des cas d’étude – le Maroc et la Libye – pour mettre en exergue le degré de flexibilité dont font preuve les États européens dans leurs décisions de vendre des armes. Ces derniers se targuent souvent d’avoir une réglementation parmi les plus strictes existantes. Cependant, chaque exportation d’armements qu’ils autorisent vers des pays au passé et au présent troubles quant à leur respect des droits humains remet en question cette affirmation. Le doute est omniprésent : les États européens négligent-ils leurs obligations éthiques au profit de ventes lucratives ?
Nous ferons ici le point sur la situation de ces pays avant les événements dramatiques du Printemps arabe avec 2009 comme année de référence. Ce choix est motivé par le fait que les derniers chiffres officiels fournis par l’UE concernant les autorisations d’exportations et les livraisons effectuées couvrent l’année 2009. A l’époque et depuis bien longtemps, les organisations non gouvernementales (ONG) ont régulièrement présenté des preuves irréfutables de graves violations des droits humains et de répression interne, signes que la plupart de ces pays n’étaient pas des destinataires modèles..
Jihan Seniora, “Exportations européennes d’armes vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient : L’Union européenne dominée par ses intérêts économiques ?”, Les Cahiers de l’Orient, n°105, Printemps 2012.