Depuis 2015 et dans le contexte de plus en plus tendu, à mesure qu’approche la date fatidique du 19 décembre 2016, comment les citoyens congolais ont-ils l’occasion d’exprimer leurs points de vue, de faire valoir leurs libertés fondamentales ou encore d’accéder à une information neutre et plurielle au cours de cette longue période pré-électorale? Les possibilités ont été rares, toute voix critique à l’égard des autorités s’est en effet confrontée à un appareil sécuritaire et judiciaire très répressif.
Crédit photo: Radio Okapi/Ph. John Bompengo. Manifestations à Kinshasa. 
Cet éclairage fait partie du projet du GRIP «Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques». Il est publié parallèlement au portrait de la Conférence épiscopale du Congo (CENCO) rédigé par Clément Hut.

Un pays au-dessus des lois?

Durant ces deux dernières années, les associations de défense des droits de l’homme ou de la liberté de presse, ou encore les agences des Nations unies, n’ont cessé de compter les arrestations arbitraires, les violences physiques et psychologiques, les détentions dans les cellules de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ou les procès reposant sur des faux témoignages[1].

Bien qu’inscrits dans la Constitution[2] ou dans les traités internationaux que la RDC a ratifiés[3], de nombreux droits fondamentaux[4] – tels ceux relatifs à la liberté d’expression, d’opinion, d’association et de réunion pacifique – garantissant pourtant aux citoyens congolais la possibilité de s’exprimer et d’agir ont été violés par les autorités congolaises.

L’interdiction de manifester[5], les emprisonnements d’opposants ainsi que les pressions exercées sur les médias nationaux et internationaux[6] ne constituent que les derniers exemples en date. Mais, en réalité, c’est dès 2015 que les autorités, relayées sur le terrain par les agents de l’ANR, de la police, de la garde républicaine ou de l’armée, se sont montrées de plus en plus actives pour intimider, réprimer voire tuer des citoyens soucieux d’exprimer leur inquiétude face à la marche autoritaire d’un pouvoir déterminé à se maintenir à la tête du pays au-delà des délais constitutionnels.

Chronologie d’une répression

Le 16 janvier 2015, Canal Kin TV (CKTV) et Radio Télévision Catholique Elikya (RTCE), deux télévisions diffusant à Kinshasa, voient leur signal de diffusion coupé sans préavis par l’ANR. Il leur est reproché d’avoir diffusé des messages « appelant la population à manifester contre un projet de la loi électorale » susceptible de prolonger le mandat du président Joseph Kabila[7].

Quelques jours plus tard, entre les 19 et 21 janvier 2015, soit deux jours après que l’Assemblée nationale adopte un projet de loi modifiant et complétant la loi électorale (décision reportant de facto l’élection présidentielle initialement prévue en 2016), 36 personnes sont tuées lors de manifestations de protestation à Kinshasa. Des dizaines d’arrestations arbitraires ont lieu, notamment celles du défenseur des droits de l’homme, Christopher Ngoy, ou des deux leaders de l’opposition, Vital Kamerhe, président de l’Union pour la nation congolaise (UNC) et Jean-Claude Muyambo, président de Solidarité congolaise pour le développement (SCODE). Presqu’instantanément, les opérateurs de télécommunication sont contraints par les autorités de suspendre pendant plusieurs jours l’accès à internet et aux SMS.

Le 15 mars 2015, lors de la création du mouvement Filimbi, une quarantaine de personnes sont arrêtées, sans aucun chef d’accusation. Certaines seront libérées le jour-même ou dans les jours qui suivent. D’autres, comme trois des initiateurs, Floribert Anzuluni, Yangu Kiakwama et Franck Otete, seront obligées de fuir vers la Belgique afin de garantir leur sécurité. Également présents, trois membres d’un autre collectif citoyen, la Lucha, seront aussi arrêtés. Deux d’entre eux, Fred Bauma et Le Mak, ne seront libérés que le 29 août 2016 sur décision de la Cour suprême, après une intense mobilisation sociale.

Les membres de la Lucha paieront un lourd tribut pour leur détermination à revendiquer le respect de la démocratie. Le 8 avril 2015 et le 15 mars 2016, lors d’une marche silencieuse pour la libération de leurs camarades et le respect des libertés publiques, plusieurs d’entre eux sont arrêtés à Goma, pour trouble à l’ordre public.

À maintes reprises, le gouvernement brandira la menace du complot international et évoquera la main étrangère désirant « déstabiliser les institutions de la RDC »[8]. Il cible le Sénégal qui, en décembre 2015 sur l’île de Gorée, a abrité une rencontre de l’opposition et de certains acteurs de la société civile en vue de structurer la réponse au glissement du calendrier électoral et jeter les bases d’un Front citoyen. La même rhétorique est utilisée en juin 2016 en qualifiant de « tentative de coup d’État institutionnel » le conclave de Genval, cette réunion ayant réuni dans la périphérie bruxelloise la quasi-totalité de l’opposition congolaise[9] en vue de créer un « Rassemblement des forces politiques et sociales ».

La violence comme unique réponse

Enfin, faut-il rappeler le 19 septembre 2016, date fixée par la Constitution pour l’annonce par la CENI de la date de l’élection présidentielle ? Le Rassemblement a choisi cette date symbolique pour organiser une journée de manifestation appelant au respect des délais constitutionnels. À Kinshasa, elle dégénère en affrontements meurtriers entre opposants et forces étatiques. Entre les 19 et 21 septembre 2016, 53 personnes, dont sept femmes, deux enfants mais aussi quatre policiers, sont tuées[10].

Mais au total, sur ces trois journées, ce sont plus de 400 personnes qui sont victimes de graves violations des droits de l’homme[11].

Ces multiples exemples illustrant l’usage disproportionné et excessif de la force, y compris létale, à l’égard de l’opposition politique, de la société civile, des médias et des citoyens montrent comment les autorités congolaises ont tenté, depuis deux ans, de bâillonner la parole de ceux et celles qui dénoncent leurs dérives autoritaires. Depuis le 1er janvier 2015, le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) a ainsi enregistré 1 006 cas de violation des droits de l’homme dont la grande majorité concerne des membres de partis politiques et d’organisations de la société civile[12]. Le secteur des médias n’est pas en reste. Pour l’ONG de défense de la liberté de presse, Journalistes en danger (JED), le secteur connaît l’une de ses années les plus noires avec 87 cas d’attaques documentées contre des journalistes nationaux et internationaux[13]. Ces divers rapports indiquent que les auteurs présumés de ces violations sont principalement des agents de la garde républicaine, de la Police nationale, de l’ANR, des autorités politico-administratives et des éléments des FARDC.

Quelles réactions de la communauté internationale?

Face à un tel tableau répressif et le maintien en prison de plusieurs prisonniers politiques, la réponse de la communauté internationale paraît bien timide. Sur la scène africaine, au Sommet de Luanda – conjointement organisé par la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), les Nations unies, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine (UA) – le 26 octobre dernier, le président Kabila a reçu le soutien de ses homologues africains dont certains, pour mémoire, ont modifié leur Constitution ou sont au pouvoir depuis 20 ou 30 ans[14]. D’autres acteurs de la communauté internationale tentent de faire pression sur le président en ciblant son entourage direct. En février 2016, les États-Unis se sont dits inquiets des atteintes à la liberté d’expression et du rétrécissement de l’espace politique. Pour le Département d’État, « ériger en infraction la contestation et les manifestations constitue une violation de la Constitution de la RDC »[15]. Le 28 septembre 2016, ils ont traduit leurs inquiétudes en sanctions financières à l’encontre des généraux Gabriel Kumba et John Numbi[16].

Pour leur part, les députés européens ont rappelé « la responsabilité du gouvernement de prévenir tout approfondissement de la crise politique actuelle et toute escalade de la violence et de respecter, protéger et promouvoir les droits civils et politiques de ses citoyens »[17]. La pression européenne a débouché, ce 12 décembre 2016, sur l’adoption, par le Conseil de l’Union européenne d’un régime de sanctions (interdictions de visa et gels des avoirs) « à l’égard de sept individus qui occupent des positions de responsabilité dans la chaine de commandement des forces de sécurité congolaises qui ont fait un usage disproportionné de la force »[18].

L’inquiétude est également bien présente parmi les acteurs de la société civile. Le monde associatif congolais opposé au troisième mandat, bien que fragmenté, reste mobilisé malgré les risques pesant sur lui. Pour l’un de ses représentants, Jonas Tshombela de la Nouvelle société civile congolaise (NSCC), « il faut maintenir la pression. La voix de la rue peut donner l’impulsion à la communauté internationale et Kabila peut se montrer attentif à la rue ». Pour la NSCC, l’apaisement pourrait venir d’un renoncement de Kabila au troisième mandat, d’un calendrier électoral contraignant ou encore de la non candidature des acteurs ayant participé aux dialogues d’octobre et de décembre 2016.

Pour Amnesty International, l’après-20 décembre reste très inquiétant et l’ensemble des acteurs s’étant mobilisés contre le troisième mandat doivent s’apprêter à travailler dans un climat encore plus hostile. « La fermeture de ces espaces d’expression risque fort d’entraîner une escalade des tensions politiques, avec éventuellement à la clef des troubles civils[19]. »

Dans les rues de Kinshasa et des autres grandes villes, la colère et la frustration sont omniprésentes. Dans les petits commerces, au marché ou dans les bus surnommés Esprits de mort, paradoxalement, jamais la liberté d’expression n’a été aussi vive pour réclamer le respect de la démocratie. Pour beaucoup de citoyens, la solution ne sortira pas du dialogue mais du rapport de force qui pourrait opposer l’armée, dont l’un des devoirs est de protéger la population, et la Garde républicaine restant fidèle au président. Mais encore une fois, cette actualité et ses incidences risquent de se dérouler à l’abri des regards et des commentaires : internet et les réseaux sociaux seront filtrés ou fermés dès le 18 décembre à 23h59[20] !

L’auteur

Pierre Martinot est chercheur au GRIP. Il est spécialisé sur les questions concernant le développement et le pluralisme du secteur médiatique en Afrique centrale.

Télécharger la version PDF :

pdf DOSSIER ÉLECTIONS RDC – Droits fondamentaux: la RDC au-dessus des lois?


[1]. Ils sont traités comme des criminels, Amnesty International, 25 novembre 2015.
[5]. Cette interdiction a été imposée le 22 septembre 2016 après les manifestations des 19 et 20 septembre 2016.
[6]. Le 5 novembre 2016, coupure du signal FM de RFI et brouillage de Radio Okapi à Kinshasa.
[10]. Données du Rapport du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH).
[12]. Lire les Rapports du BCNUDH.
[13]Rapport 2016, la pire saison pour la presse en RDC, Journalistes en danger, novembre 2016.
[17]. Droits de l’homme : liberté d’expression en RDC », Parlement européen, 10 mars 2016.
[19]. Démantèlement de la dissidence, Amnesty International, 15 septembre 2016.
[20]. « RDC : les autorités confirment la restriction des réseaux sociaux », Jeune Afrique, 16 décembre 2016.