Le 13 juillet 2024, les forces israéliennes ont mené une attaque aérienne à Al-Mawasi, dans le Sud de la bande de Gaza[i]. La frappe ciblait Mohamed Deif, un chef du Hamas accusé d’avoir participé à l’organisation de l’attaque du 7 octobre 2023, et Rafa’a Salameh, un cadre de la brigade Khan Younès. Le Premier ministre Benyamin Netanyahu s’exprimant peu après le bombardement affirma qu’il s’était assuré qu’il n’y avait pas d’otages israéliens dans la zone avant d’autoriser l’attaque. En revanche, il ne fit aucun commentaire sur les conséquences de la frappe pour les populations palestiniennes. Selon le ministère de la Santé de Gaza, l’attaque a provoqué la mort d’environ 90 personnes et fait à peu près 300 blessés. Une enquête menée ultérieurement par l’organisation Airwars concluait quant à elle qu’au moins 57 personnes ont été tuées lors du bombardement[ii]. Un autre élément interpellant apparu dans la presse : les autorités israéliennes avaient déclaré la zone d’Al-Mawasi, où se trouvent environ 1,5 million de déplacés, « zone humanitaire sûre ». À ce titre, elle aurait donc dû être protégée des attaques. Après la frappe, Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense, s’est rendu sur la base aérienne de Nevatim, dans le Néguev. C’est de cette installation que décollent les chasseurs-bombardiers F-35I Adir (« puissant » en hébreu) qui ont été employés lors de la frappe du 13 juillet. Lors de sa visite, Yoav Gallant souligna l’importance de l’opération pour la sécurité de l’État israélien[iii]. À notre connaissance, pas plus que Benjamin Netanyahu, il ne fit référence aux victimes civiles.
Le chasseur-bombardier F-35 est issu du programme Joint Strike Fighter, lancé par le département de la Défense des États-Unis dans les années 1990. Ce programme visait à fournir aux forces armées étatsuniennes un avion de combat multirôle qui pourrait équiper à la fois la force aérienne, la marine et le corps des marines. L’avion est conçu et produit par l’entreprise étatsunienne Lockheed Martin, le premier fabricant d’armes au monde[iv]. Une partie de ces composants est toutefois fabriquée par des entreprises basées dans des pays alliés des États-Unis qui ont aussi fait l’acquisition du F-35, notamment en Europe.
L’attaque du 13 juillet 2024 sur Al-Mawasi n’est pas le premier bombardement conduit par la force aérienne israélienne qui a causé de nombreuses victimes civiles et violé le droit international humanitaire (DIH)[v]. D’autres attaques aériennes avant celles-ci ont été qualifiées de crimes de guerre par plusieurs rapports d’organisme de défense des droits humains[vi]. En mai 2024, le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan annonçait que son bureau enquêtait sur « les bombardements à grande échelle qui ont fait tant de morts et de blessés parmi la population civile et causé tant de souffrances à Gaza[vii] ». Pourtant, des entreprises basées en Europe, au Canada ou en Australie continuent à fournir des composants et à participer ainsi à la chaîne logistique du F-35, un des avions utilisés dans ces bombardements menés au mépris des vies civiles palestiniennes et du DIH.
Ce texte propose de revenir sur l’implication et la responsabilité de ceux qui, au sein de la longue chaîne logistique de production des armes, fournissent à l’État israélien la capacité de tuer des civils. Pour ce faire, ce texte procède en trois étapes. Il explique d’abord la façon dont le département étatsunien de la Défense a organisé une chaîne logistique multinationale pour le F-35 (1). Il montre ensuite comment Israël est devenu un partenaire privilégié du programme F-35 (2). Il revient enfin sur les réticences des gouvernements de pays fournisseurs de composants du F-35 à cesser leurs livraisons vers Israël (3).
Crédit photo de couverture : assemblage d’un avion F-35 par Lockheed Martin à Fort Worth au Texas, 14 avril 2015, by Angel DelCueto, CC BY-NC-ND 2.0, via flickr.
[i] La présentation des faits qui suivent s’appuie sur l’article : « Gaza : des dizaines de morts dans une frappe israélienne sur le camp de déplacés d’Al-Mawasi », RFI, 13 juillet 2024.
[ii] « ISPT130724e », Airwars.
[iii] GJERDING Sebastian et ANDERSEN Lasse Skou, « Danskudstyrede kampfly deltog i angreb i Gaza med store civile tab », Informatíon, 1er septembre 2024.
[iv] SCARAZZATO Lorenzo et. al., « The SIPRI Top 100 Arms Producing and Military Services Companies, 2023 », SIPRI, décembre 2024, p. 9.
[v] « Thematic Report: Indiscriminate and disproportionate attacks during the conflict in Gaza (October – December 2023) », Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights, 19 juin 2024.
[vi] « Israël/TPO. De nouveaux éléments pointent des attaques illégales d’Israël à Gaza causant de nombreuses victimes civiles sur fond de risque réel de génocide », Amnesty International, 12 février 2024 ; « Gaza : Une frappe israélienne qui a tué 106 civils était un crime de guerre apparent », Human Rights Watch, 4 avril 2024 ; « Israël/TPO. Les attaques israéliennes visant des combattants du Hamas et d’autres groupes armés qui ont tué de nombreux civil·e·s déplacés à Rafah doivent faire l’objet d’une enquête en tant que crimes de guerre », Amnesty International, 27 août 2024.
[vii] « Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan KC : dépôt de requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’État de Palestine », Cour pénale internationale, 20 mai 2024.