Les tensions entre le Maroc et le Front Polisario au Sahara occidental se sont nettement tendues au début du mois de novembre 2020, ravivant ainsi un conflit armé plus au moins anesthésié depuis près de 30 ans. En effet, le leader du mouvement indépendantiste sahraoui, Brahim Ghali, a décrété la rupture du cessez-le-feu après que Rabat a lancé le 13 novembre une intervention militaire à Guerguerat, localité frontalière et démilitarisée située à l’extrême sud-ouest du Sahara occidental[1].
Crédit photo : POLISARIO refugee camp – Western Sahara – Wikimedia Commons
Author : Jaysen Naidoo
Cet éclairage présente les événements étant à l’origine de la recrudescence des tensions et les différents acteurs impliqués afin de fournir les clés de lecture nécessaires pour comprendre la situation au Sahara occidental. Il dresse tout d’abord un bref historique portant sur la période allant de 1960, année du début du processus de décolonisation du continent africain, à 1991, année où le cessez-le-feu a été signé mettant fin à la période la plus violente du conflit à ce jour. Cet éclairage analyse ensuite les incidents qui ont conduit à une augmentation progressive des tensions entre les deux parties au conflit depuis la signature du cessez-le-feu jusqu’à présent. Le texte revient finalement sur l’actualité et l’annonce faite par le Front Polisario à la suite de l’intervention militaire marocaine dans la zone tampon de Guerguerat.
Le conflit du Sahara occidental de 1960 à 1991
Le Sahara occidental est un territoire très riche en phosphates et possède l’une des ressources halieutiques les plus riches au monde. En outre, il est possible de trouver du pétrole et du gaz dans ses eaux territoriales. Le contrôle et l’exploitation de ces ressources naturelles n’est cependant que l’une des raisons qui motivent ce différend.Le conflit commence au début des années 1960[2], lorsque l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) se prononce au sujet de la décolonisation en Afrique et sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. En dépit de l’Avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) émis en octobre 1975[3], l’Espagne (puissance coloniale) décide de mettre fin à son contrôle sur cette région et cède le territoire au Maroc et à la Mauritanie lors des Accords de Madrid[4].
Le 6 novembre 1975, dès le départ des Espagnols, le roi du Maroc Hassan II organise la « Marche verte », qui voit un cortège de 350 000 citoyens marocains soutenus par les forces armées prendre le contrôle des territoires sahraouis. Des bombardements au napalm et au phosphore blanc de l’aviation marocaine contre des civils sahraouis obligent une grande partie de la population sahraouie à prendre le chemin de l’exil[5]. Elle trouve refuge dans la région frontalière de la Hamada, dans le Sahara algérien. De son côté, la Mauritanie prend également le contrôle de la partie du territoire cédée par l’Espagne.
En 1976, le Front Polisario (Front populaire de libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro), mouvement initialement créé pour lutter contre l’occupation espagnole, proclame la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en exil au Sahara algérien. Au lendemain du départ des dernières troupes espagnoles, le Maroc et la Mauritanie se voient confrontés à une guérilla sahraouie luttant en faveur de l’indépendance. Après des années de guerre, la Mauritanie signe un accord de paix avec les autorités sahraouies et reconnait la RASD en 1979. Afin d’arrêter les hostilités entre le Maroc et le Front Polisario, l’ONU et l’Organisation de l’unité africaine (OUA) proposent en 1991 un cessez-le-feu et la mise en place d’un référendum d’autodétermination. La proposition est acceptée par les deux parties et le 29 avril 1991, l’ONU déploie une mission sur le territoire, la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), afin de veiller au respect du cessez-le-feu et d’organiser le référendum d’autodétermination.
Un cessez-le-feu sans paix de 1991 à 2019
Malgré l’accord des deux parties, cette initiative des Nations unies n’a pas permis d’organiser le référendum, notamment faute d’accord sur la population appelée aux urnes, ni n’a mis fin aux crispations entre le Royaume et le Front Polisario. Par ailleurs, le conflit du Sahara occidental est également au cœur des tensions entre le Maroc et l’Algérie. Cette dernière soutient la lutte du peuple sahraoui, officiellement au nom d’une posture anticolonialiste et du droit à l’autodétermination des peuples. Aujourd’hui, le Maroc occupe environ 80 % du territoire, tandis que le Front Polisario en contrôle 20 %, partie rendue à la RASD par la Mauritanie (voir carte 1). Ce territoire fait toujours partie de la liste de « territoires non autonomes » de l’ONU[6]. D’après la définition établie par le Chapitre XI, art. 73, de la Charte des Nations unies, il s’agit d’un territoire « dont les habitants n’ont pas encore pleinement acquis l’autonomie ».
Dans le processus de négociation entre les parties concernées et sous l’égide de l’ONU, le Maroc a présenté en 2007 un Plan d’autonomie pour les provinces dites « du sud », cependant, une grande partie de la communauté internationale soutient toujours l’organisation du référendum d’autodétermination du peuple sahraoui comme solution légitime au conflit[7].
Carte 1 : Situation géographique du conflit au Sahara occidental
en septembre 2020
Le 30 janvier 2017, 32 ans après s’être retiré de l’OUA à la suite de l’adhésion de la RASD, le Maroc a intégré l’Union africaine (UA, remplaçant l’OUA)[8]. Ceci malgré le fait qu’il demandait la suspension de la RASD, l’un des membres fondateurs de l’organisation. L’intégration du Royaume à l’UA et la nomination de Horst Köhler comme nouvel Envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental en août 2017[9] semblaient établir un nouvel espace de dialogue pour la résolution du conflit du Sahara occidental[10]. Pourtant, plusieurs épisodes de grande tension entre les forces armées marocaines et celles du Front Polisario ont eu lieu à Guerguerat et ont été à plusieurs reprises sur le point de relancer les combats[11].
Violation du cessez-le-feu et reprise des hostilités en 2020 ?
Le 13 de novembre 2020, l’armée marocaine est entrée dans la zone frontalière de Guerguerat, établie comme zone tampon démilitarisée par l’ONU[12]. Son but était d’expulser une cinquantaine de civils sahraouis qui bloquaient la route vers la Mauritanie depuis le 21 octobre en signe de protestation pour la condamnation à de lourdes peines de prison de 19 activistes sahraouis détenus arbitrairement par le Maroc depuis dix ans[13]. Le Front Polisario est intervenu et les deux forces ont échangé des tirs, bien qu’aucun blessé n’ait été à déplorer.
Le Front Polisario a annoncé le 14 novembre qu’il considère l’accord de cessez-le-feu signé avec Rabat en 1991 comme rompu et a décrété par conséquent l’état de guerre sur l’ensemble du territoire[14]. Parallèlement, des volontaires sahraouis ont commencé à s’engager dans les casernes des camps de réfugiés de Tindouf, mis en place il y a 45 ans dans le Sahara algérien (voir carte 1). De leur côté, les forces armées marocaines se sont déployées dans la zone tampon de Guerguerat afin de garantir la liberté de mouvement après des semaines de blocus et de « provocations » du Front Polisario[15].
Dans les jours qui ont suivi, le Front a affirmé avoir attaqué plusieurs bases militaires marocaines et fait des victimes, mais des sources officielles marocaines ont nié avoir subi des pertes humaines[16]. Des échanges sporadiques de tirs ont également été enregistrés entre les deux camps à plusieurs endroits de la ligne de cessez-le-feu, à hauteur de Mahbas, Tifariti, Smara ou Mijek (voir carte 1)[17]. L’ONU et son Secrétaire général, António Guterres, ont appelé les parties au conflit à éviter une reprise des combats et mis en garde contre les graves conséquences des violations du cessez-le-feu et de tout changement du statu quo[18]. De même, la recrudescence des tensions a suscité des inquiétudes au sein de l’UA et dans les pays voisins comme l’Algérie et Mauritanie, ainsi qu’en France et en Espagne[19].
Conclusion
Le fait que le référendum d’autodétermination, accepté initialement par le Maroc et le Front Polisario, n’ait toujours pas eu lieu après presque trois décennies montre l’échec du processus de paix mené par les Nations unies et fait planer un doute sur la possibilité de résoudre ce conflit de manière pacifique. La question de savoir qui sera autorisé à voter lors de cette consultation reste le principal obstacle à son organisation. La première tentative d’identification des personnes habilitées à voter a commencé en août 1994, deux ans après le déploiement de la MINURSO. Les listes du recensement espagnol de 1974 devaient constituer la base du calcul des citoyens concernés par le scrutin. Elles indiquaient un total de 70 000 Sahraouis. Cependant, le Maroc n’a pas accepté cette liste et a présenté son propre calcul reprenant les noms de 120 000 Sahraouis présumés[20]. Au fil des ans, le soutien du gouvernement marocain aux citoyens qui s’installent dans les provinces dites « du sud » a rendu de plus en plus difficile pour les deux parties de parvenir à un accord sur les listes des votants[21].
Depuis 1991, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé chaque année le mandat de la MINURSO dans le but d’organiser le référendum qui mettra un terme à ce conflit. Toutefois, l’annonce de l’administration de Donald Trump, le 10 décembre 2020, reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental, représente un changement radical dans la politique de Washington sur cette question et met en péril le renouvèlement de la mission onusienne à l’avenir[22]. Après presque 30 ans d’attente, la frustration de plusieurs générations de Sahraouis, qui ont grandi dans les camps de réfugiés dans le Sahara algérien en attente de cette consultation populaire, alimente le désir de débloquer leur situation par tout moyen possible.
On peut se demander si les affrontements actuels ne sont qu’un exemple plus intense des épisodes de tension entre les deux parties au conflit ou s’ils conduisent effectivement à une reprise des hostilités. Dans ce cas, le déroulement du conflit armé dépendra en grande partie du positionnement de l’Algérie, rivale du Maroc et principal soutien économique, politique et militaire du Front Polisario. Le gouvernement algérien, pays qui possède l’une des armées les plus puissantes du continent africain, a appelé à la prudence dans son unique déclaration officielle concernant la crise entre le Maroc et les Sahraouis[23]. Ce nouvel épisode d’escalade de la tension a surpris le président algérien, Abdelmayid Tebun (74 ans), et le chef de l’état-major général, Saïd Chengriha (75 ans), hospitalisés en Europe à cause des complications liées au Coronavirus[24].
Auteure
Maria Camello est chargée de recherche au GRIP pour le projet « Armes légères et transferts d’armes ». Titulaire d’un Master en Relations internationales, paix, sécurité et conflits de l’Université libre de Bruxelles, ses travaux portent notamment sur la prolifération des armes conventionnelles et des armes légères et de petit calibre ainsi que sur les moyens de contrôle du commerce international des armes.
[1]. RODRIGUEZ MARTINEZ Marta et CROWCROFT Orlando, « Sahara occidental : le Front Polisario et le Maroc sur le chemin de la guerre ? », Euronews, 20 novembre 2020.
[2]. CAMELLO María, Exportations d’armes au Maghreb : Quelle conformité avec la Position commune ?, les Rapports du GRIP, 30 novembre 2018.
[3]. L’Avis consultatif de la Cour internationale de Justice 16/10/1975 concluait que « les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part ». Ainsi, il n’existe aucun lien juridique qui empêcherait « la décolonisation du Sahara occidental et en particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire ». Cour internationale de justice, Sahara occidental, Avis de la Cour internationale de Justice 16/10/1975, 16 octobre 1975.
[4]. Les Accords de Madrid étaient en totale contradiction avec les résolutions 1541 et 1514 de l’Assemblée générale de l’ONU et avec l’avis de la CIJ. Ceux-ci ont été alors considérés comme dépourvus de force légale. Par conséquent, l’invasion du territoire sahraoui de la part de la Mauritanie et du Royaume du Maroc a été déclarée illégale et nulle. ARTS Katrin, CHAPAUX Vincent et PINTO LEITE Pedro, Le droit international et la question du Sahara occidental, Potro, IPJET, 2009, p. 172.
[5]. CAMBRÉZY Luc (dir.) ; LASSAILLY-JACOB Véronique (dir.), Populations réfugiées : De l’exil au retour, IRD Éditions, 2001.
[6]. Nations unies, « Territoires non autonomes », Les Nations unies et la décolonisation, consulté le 24 novembre 2020.
[7]. ARTS Katrin, op. cit
[8]. PRABONNAUD Frédérique, « Les enjeux du retour du Maroc dans l’Union africaine », HuffPost Maghreb, 30 janvier 2017.
[9]. Secrétaire général des Nations unies, « Secretary-General Appoints Horst Köhler of Germany Personal Envoy for Western Sahara », SG/A/1753-BIO/4998, Meetings Coverage and Press Releases, 16 août 2017.
[10]. «U.N. invites Western Sahara parties for new talks in December», Reuters, 1er octobre 2018.
[11]. SOUDAN François, « Sahara occidental : vis-à-vis tendu sur la « ligne de front » à Guerguerat », Jeune Afrique, 24 avril 2017.
[12]. RODRIGUEZ MARTINEZ Marta et CROWCROFT Orlando, op. cit.
[13]. VERDIER Marie, « En prison au Maroc, des militants sahraouis attendent depuis dix ans », La Croix, 9 novembre 2020.
[14]. MENESES Rosa, « El Polisario anuncia el fin de su compromiso con el alto el fuego pactado con Marruecos y declara el “estado de guerra”», El Mundo, 14 novembre 2020.
[15]. « El Frente Polisario da por roto el alto el fuego sobre el Sahara después de treinta años », RTVE, 14 novembre 2020.
[16]. RODRIGUEZ MARTINEZ Marta et CROWCROFT Orlando, op. cit.
[17]. BOBIN Frédéric, « Le Sahara occidental en proie à un regain de tension », Le Monde Afrique, 16 novembre 2020.
[18]. Organisation des Nations unies, « Sahara occidental: le Secrétaire général met en garde contre une escalade de la situation dans la zone tampon de Guerguerat », Communiqué de presse, 13 novembre 2020.
[19]. « Sahara occidental: reprise du trafic routier dans la zone bloquée par le Polisario », La Libre Afrique, 16 novembre 2020.
[20]. « Abierta la campaña de identificación para votar en el referéndum del Sáhara », El País, 29 août 1994.
[21]. PEREGIL Francisco, « Un Sáhara Occidental con cada vez menos saharauis », El País, 26 novembre 2020.
[22]. Les États-Unis sont le seul pays occidental à reconnaître la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental. MAY Axel, « Donald Trump reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental », France 24, 11 décembre 2020.
Sahara occidental : 30 ans d’instabilité du cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario