Crédit photo: CENI RDC

Sauf coup de théâtre chaque jour moins probable, des élections générales se tiendront le 20 décembre 2023 en République démocratique du Congo (RDC). Elles devraient permettre de renouveler les membres de l’Assemblée nationale, du Sénat et des assemblées des 26 provinces du pays, mais les projecteurs seront surtout braqués sur l’élection du chef de l’État, attention justifiée par les larges pouvoirs que lui octroie la constitution congolaise.

Le favori de la course électorale est, de l’avis général, le président actuel, Félix-Antoine Tshisekedi, qui vise un second mandat de cinq ans à la tête du pays. Face à lui se trouve la plupart des ténors de la scène politique congolaise, qui ont décidé de le défier à travers les urnes. Après avoir payé une caution (non remboursable) de 160 millions de francs congolais (environ 60 000 euros), ils sont finalement 26 – dont deux femmes – à figurer sur la liste définitive des candidats présidentiels, dont deux n’avaient pas été validés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), mais qui ont été « repêchés » par la Cour constitutionnelle[1]. La campagne électorale ne pourra cependant débuter que le 19 novembre, soit un mois avant la tenue du scrutin.

Une brochette d’opposants au président

Parmi les principaux opposants au président Tshisekedi, il y a d’abord Moïse Katumbi, homme d’affaires, propriétaire du TP Mazembe, club de football le plus titré de RDC, et ancien gouverneur du Katanga. Empêché de se présenter à l’élection présidentielle de 2018 par une condamnation pour une affaire de spoliation immobilière, il devrait être bien présent cette fois-ci, car le recours en invalidation de sa candidature, sous le motif qu’il cumulerait sa nationalité congolaise avec la nationalité italienne[2], a été rejeté par la cour constitutionnelle. Alors qu’il jouit d’une popularité certaine dans l’ex-province du Katanga, où il met en avant les réalisations de son gouvernorat, son parti, Ensemble pour la République, basé à Lubumbashi, est également bien implanté à Kinshasa et ailleurs en RDC.

Martin Fayulu est un autre candidat qui devrait réunir un nombre conséquent de suffrages. Coordonnateur de la coalition Lamuka, il fut, pendant un temps – jusqu’à ce que Tshisekedi rompe le pacte – le candidat unique de l’opposition à Kabila en 2018 et il continue d’affirmer que sa victoire à ce scrutin, dont les résultats ont été contestés par de nombreux observateurs, lui a été volée à la suite d’un accord secret entre Tshisekedi et Kabila. Cependant, si d’aventure il devait être élu cette année, il risquerait de n’avoir aucun relais au parlement puisque, sur son injonction, Lamuka boycotte les législatives.

Une autre « vedette » du scrutin n’est autre que « l’homme qui répare les femmes », le chirurgien Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018. Dénonçant la corruption du régime, l’intervention de forces étrangères dans l’Est du pays sans aval parlementaire et l’impunité des auteurs de crimes de guerre de ces dernières décennies, il plaide pour une « véritable rupture » avec le passé. Cependant, si elle est grande à l’étranger, la popularité de Mukwege reste à démontrer hors de son Sud-Kivu natal, d’autant plus que – contrairement aux professionnels de la politique – il ne dispose pas d’une machine électorale bien huilée pour soutenir sa campagne[3].

Enfin, outre Floribert Anzuluni, ancien coordinateur du mouvement citoyen Filimbi, peut-être mieux connu en Belgique, où il a vécu quand son mouvement était réprimé sous la présidence précédente, deux candidats sont susceptibles d’attirer quelques pourcents de suffrages : les anciens Premiers ministres de Kabila, Matata Ponyo et Adolphe Muzito. Tous deux disposent d’un parti représenté au parlement et ils sont susceptibles de drainer une partie de l’électorat nostalgique de Joseph Kabila.

Quant à ce dernier, il a décidé d’ignorer le scrutin. Son Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), renvoyé dans l’opposition à la fin 2020, a également décidé de ne pas présenter de candidat aux législatives et a demandé à ses partisans de boycotter les opérations d’enrôlement des électeurs. Lors d’une de ces rares apparitions, l’ex-raïs, désormais sénateur à vie, a déclaré que les conditions n’étaient pas réunies pour de « bonnes élections » et dénoncé une « dictature ». La composition de la CENI et de la cour constitutionnelle, aux mains de fidèles du président actuel, est contestée et mise en avant par les kabilistes. Ayant subi maintes défections depuis son passage à l’opposition, le PPRD n’est cependant plus que l’ombre de ce qu’il était il y a cinq à dix ans[4].

Parmi les autres absents de la présidentielle, il y a surtout Jean-Pierre Bemba, ancien chef rebelle, « finaliste » malheureux de l’élection de 2006, puis condamné à 18 ans de prison par la Cour pénale internationale pour les crimes commis par son groupe armé en République centrafricaine. Acquitté en appel, après plus dix ans de prison aux Pays-Bas, il est devenu ministre de la Défense. Son soutien et celui de son parti, le Mouvement pour la libération du Congo, à la candidature du président en exercice pourraient lui procurer nombre de voix dans l’ex-province de l’Équateur. De même, le chef de l’État devrait bénéficier du ralliement de l’Union pour la nation congolaise de Vital Kamerhe, bien implantée au Sud-Kivu. Directeur de cabinet de Tshisekedi au début de son mandat, Kamerhe a ensuite été condamné à 20 ans de prison pour corruption et détournement de fonds, acquitté en appel en juin 2022[5] et revenu en grâce quelques mois plus tard en étant nommé ministre de l’Économie.

Les atouts de Fatshi

L’appoint de ces quelques poids-lourds n’est pourtant qu’un des nombreux facteurs qui font de Félix-Antoine Tshisekedi, Fatshi en abrégé, le grand favori de la prochaine élection.

Parmi les autres atouts du président sortant, il y a bien entendu le grand nombre de prétendants à sa succession. Le désistement de certains d’entre eux et la création d’une dynamique d’opposition unifiée ne seront cependant possibles qu’après le début de la campagne électorale, soit quelques semaines avant le scrutin. Dans le cas contraire, le système électoral à un tour (qui veut que celui qui arrive en tête du scrutin soit élu président quel que soit le nombre de voix qu’il a remportées) favorisera sans doute le tenant actuel de la présidence.

De même, la réélection de Tshisekedi pourrait être facilitée par un taux élevé d’abstentionnistes. Alors que, en 2018 déjà, plus de la moitié de l’électorat avait boudé les bureaux de vote, ce phénomène pourrait s’amplifier cette année, pas tellement en raison de l’appel au boycott de Kabila, mais surtout à cause du désenchantement d’une grande partie de la population qui n’a pas vu son sort s’améliorer après l’alternance incarnée par l’arrivée de Fatshi au pouvoir[6]. Les élections étant prévues un mercredi, jour ni férié ni chômé, nombreux seront ceux qui préféreront la quête de leur pain quotidien à la file au bureau de vote. Il reste à voir si les efforts de la CENI pour sensibiliser la population à l’importance d’aller voter suffiront à inverser la tendance[7].

En outre, Tshisekedi dispose d’un parti à sa dévotion, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), fondée en 1982 par son père, Étienne, et disposant de nombreux militants, les redoutables « combattants » organisés en « parlements debout », particulièrement à Kinshasa et dans la région du Kasaï.

Par ailleurs, des doutes planent sur les pratiques de la CENI et, par conséquent, la régularité des prochaines élections. Le fichier électoral, qui comporte près de 44 millions de noms, est contesté par l’opposition, qui y voit des électeurs fictifs et réclamé un audit qui a été refusé par la CENI[8]. Des électeurs, bel et bien enrôlés, constatent que leur nom a disparu du fichier central à cause de défaillances du serveur. Les cartes d’électeurs – principaux documents d’identité en RDC – récemment délivrées par la CENI seraient de mauvaise qualité et parfois illisibles. Les « dispositifs électroniques de vote », plus communément appelées « machines à voter », qui devraient permettre un vote « semi-électronique », inspirent la méfiance de la population, même si le comptage des voix devrait rester manuel.

En outre, en violation des mesures d’application de la loi électorale, la CENI a annoncé que les listes d’électeurs ne seraient pas affichées, mais consultables auprès d’un « agent appelé « Préposé à l’affichage » affecté à cette tâche au niveau de chaque Antenne de la CENI »[9]. Vingt jours après l’annonce, la mission d’observation électorale des églises catholique et protestante constatait n’avoir trouvé aucun de ces préposés auxdites antennes[10] et la CENI manquait également à son devoir de publier ces listes sur son site web[11].

D’autres voix dénoncent l’opacité du processus électoral. Plusieurs candidats présidentiels ont signé une déclaration commune (signe avant-coureur d’une candidature unique ?) où ils expriment leurs doutes sur l’indépendance de la CENI et demandent à la population de se préparer à une « garde citoyenne devant tous les bureaux de vote » le soir des élections[12]. De son côté, la coordination nationale de la Société civile forces vives énonçait d’autres griefs à l’encontre du processus électoral, dont la « désignation frauduleuse du Président de la CENI » et la « nomination des personnes de la même zone linguistique » aux postes-clés de ce processus. Demandant leur report, la coordination considère que les élections de décembre « risqueraient d’être l’élément déclencheur du chaos »[13].

Tribalisation des institutions ?

Il est vrai que de plus en plus nombreuses sont les voix à dénoncer une « tribalisation des institutions »[14], destinée notamment à garantir un deuxième mandat à Fatshi. Ainsi, alors que la CENI est chargée d’organiser les élections et la cour constitutionnelle de valider à la fois les candidatures et les résultats, les présidents de ces deux pivots du processus électoral, respectivement Denis Kadima et Dieudonné Kamuleta Badibanga, sont l’un et l’autre des Luba du Kasaï. Il en va de même avec ceux qui tiennent les cordons de la bourse (pour un coût des élections non précisé mais estimé à plus d’un milliard de dollars par la CENI[15]), le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, et la gouverneure de la Banque centrale, Marie-France Malangu Kabedi. Sont également tous deux d’origine kasaïenne les ministres les plus concernés par le déroulement des élections, celui de l’Intérieur, Peter Kazadi, et celle de la Justice, Rose Mutombo.

Le président a donc réussi à s’entourer de personnes de confiance à même de lui assurer cinq années supplémentaires à la tête de l’État. Et, si cela ne suffisait pas, il pourrait avoir recours à des méthodes plus brutales, comme semble déjà en faire l’expérience l’entourage de Moïse Katumbi. Ainsi, un de ses plus proches conseillers, Salomon Idi Kalonda, est emprisonné depuis la fin mai 2023, d’abord accusé de « port d’arme illégal », puis de « trahison »[16]. Quelques semaines plus tard, Chérubin Okende, ancien ministre des Transports, porte-parole de Katumbi et son parti, était assassiné après avoir été enlevé dans l’enceinte de la cour constitutionnelle[17]. Enfin, au début septembre, le journaliste Stanis Bujakera a été arrêté pour un article (non signé) qu’il aurait publié dans le magazine Jeune Afrique, un article accusant l’État-major des renseignements militaires (ex-DEMIAP) d’être responsable de l’assassinat d’Okende[18].

Insécurité à l’Est, chaos à l’Ouest ?

Par ailleurs, il est probable que, en raison de l’insécurité ou de l’absence d’institution étatique, les élections ne pourront pas se tenir sur toute l’étendue de la République, en particulier dans certains territoires du Nord-Kivu. Dans cette province, dont quelque 2,5 millions d’habitants ont dû fuir leur localité d’origine[19], des combats continuent à faire rage entre le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par l’armée rwandaise, et les Forces armées de RDC (FARDC) alliées à des groupes locaux. Une force de l’East African Community (EAC), composée de militaires sud-soudanais et kenyans, est censée reprendre le terrain conquis par le M23, mais sa passivité est encore plus criante que celle de la MONUSCO, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC, elle-même sur le départ. Présente depuis un quart de siècle dans le pays, celle-ci devrait entamer un retrait « progressif et ordonné » avant la fin de l’année 2023. En outre, dans le cadre de l’EAC, à laquelle la RDC a adhéré en 2022, des troupes ougandaises sont présentes dans le nord du Nord-Kivu et dans le sud de l’Ituri voisine pour y combattre les Allied Democratic Forces (ADF), affiliées à la nébuleuse de l’État islamique, tandis que, au Sud-Kivu, ce sont des troupes burundaises qui pourchassent des groupes armés burundais établis de l’autre côté de la frontière. Autrement dit, malgré le retrait de la MONUSCO, la « congolisation » des conflits de RDC ne semble pas être pour demain.

Indépendamment de la situation dans l’Est, on voit cependant mal les lacunes constatées dans l’organisation des élections et le fonctionnement de la CENI déboucher sur un chaos généralisé, comme le redoutent certains observateurs et candidats d’opposition, et encore moins sur une guerre civile[20]. La loi électorale adoptée en 2022[21] a mis en place certains garde-fous, comme le comptage des bulletins de vote dans chaque bureau avant le début des opérations ou l’obligation d’affichage des résultats aux murs de ces bureaux. Si ces mesures sont bien appliquées, elles devraient rendre plus difficile toute falsification massive des résultats, et donc limiter l’ampleur de leur contestation. Cela donnerait aussi à l’heureux élu davantage de légitimité que n’en a disposé l’actuel locataire de la présidence lorsqu’il entama son premier mandat.

[1] « Présidentielle 2023 : la Cour constitutionnelle valide la liste définitive de 26 candidatures », Radio Okapi, 30 octobre 2023.

[2] Katumbi est né au Congo d’un père grec et d’une mère congolaise.

[3] Romain Gras, « ‘J’y vais maintenant !’ : Denis Mukwege candidat à la présidentielle », Jeune Afrique, 2 octobre 2023.

[4] Christophe Rigaud, « RDC : les stratégies divergentes d’une opposition fragmentée », Afrikarabia, 31 juillet 2023.

[5] Romain Gras, « RDC : Vital Kamerhe acquitté en appel », Jeune Afrique, 23 juin 2022.

[6] Groupe d’étude sur le Congo & Ebuteli, « Présidentielle 2023 : l’abstention pourrait atteindre un taux record », Center on International Cooperation, février 2023.

[7] « La CENI lance la campagne de sensibilisation d’électeurs pour une importante participation aux prochaines élections », Radio Okapi, 21 octobre 2023.

[8] « RDC: la Céni ne veut pas d’un nouvel audit du fichier électoral après avoir rencontré l’opposition », RFI, 11 juillet 2023.

[9] « COMMUNIQUE DE PRESSE | N° 050/CENI/2023 », Ceni-RDC, sur X, 5 octobre 2023.

[10] La CENI dispose de 6 antennes dans la ville de Kinshasa, qui compterait entre 15 et 20 millions d’habitants.

[11] Djo Kabika, « Élections 2023 : les catholiques et les protestants accusent la CENI de traîner les pas pour la publication des listes des électeurs », mediacongo.net, 25 octobre 2023.

[12] « RDC : Des candidats à la présidentielle dont Katumbi, Fayulu et Mukwege réclament la publication des listes électorales dans chaque bureau de vote et demandent une réunion urgente avec Denis Kadima », actualite.cd, 31 octobre 2023.

[13] « RDC : les élections ne sont plus possibles dans le contexte actuel (Société Civile) », La Prunelle RDC, 20 octobre 2023.

[14] Bénédict Mukendi, « Katumbi, Sessanga et Matata proposent des solutions pour l’actuel processus électoral », Sud Express International, 5 juillet 2023.

[15] Jordan Mayenikini, « Élections en RDC : alors que la CENI exige plus d’un milliards USD, l’ODEP estime que le budget actuel ne devrait pas dépasser 600 millions USD », actualite.cd, 23 mars 2023.

[16] « En RDC, Salomon Idi Kalonda, bras droit de l’opposant Moïse Katumbi, devant la justice », RFI, 18 août 2023.

[17] Emery Makumeno et Pamela Amunazo, « Ce que nous savons sur l’assassinat de Chérubin Okende, ancien ministre congolais retrouvé mort dans sa voiture à Kinshasa », BBC News, 13 juillet 2023.

[18] « RDC: «Le maintien en détention de Stanis Bujakera n’a pas lieu d’être», pour l’avocat du journaliste », RFI, 26 septembre 2023. L’article ayant entraîné l’arrestation de Bujakera, daté du 31 août 2023, est disponible sous https://www.jeuneafrique.com/1477835/politique/mort-de-cherubin-okende-en-rdc-les-renseignements-militaires-ont-ils-joue-un-role/.

[19] « République démocratique du Congo: Nord-kivu : Personnes déplacées internes et retournées, mars 2023 », UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA), mai 2023.

[20] Écouter, par exemple, les propos du professeur Bob Kabamba (Université de Liège) dans l’émission « Dialogue entre Congolais », Radio Okapi, 9 octobre 2023.

[21] « Loi électorale n°22-029 du 29 juin 2022 », CENI, 5 juillet 2022.

Crédit photo: Siège CENI Kinshasa