Les partis négociant la formation d’un gouvernement en Wallonie ont aujourd’hui deux options: continuer à autoriser l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis et ainsi violer le droit tout en risquant de se rendre complices de crimes de guerre; ou stopper ces exportations conformément au droit, et ainsi montrer qu’ils ont entendu l’appel de la société civile, des instances internationales et des populations affectées par les armes wallonnes.
Le 21 juin dernier en effet, neuf organisations non gouvernementales[1] appelaient la Wallonie à arrêter immédiatement ses ventes et ses exportations d’armes à destination des pays qui commettent de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains. Quelques jours plus tard, les premiers textes issus des négociations wallonnes laissaient entrevoir des avancées encourageantes, parlant notamment de “renforcer la qualité et la transparence du processus de décision en matière de licences d’armes”, de ne plus octroyer “aucune licence relative à de nouveaux contrats à destination de pays qui commettent des violations graves du droit international humanitaire ou du droit international des droits humains” et d’un “processus d’accompagnement des entreprises du secteur de l’armement en vue de diversifier leurs productions et leur clientèle, dans le respect du décret du 2 juin 2012”. Toutefois, il ne faudrait pas que la réouverture des négociations conduise à un affaiblissement de cette position et permette aux exportations d’armes wallonnes à destination d’Etats coupables de crimes de guerre de se poursuivre. Ce serait contraire non seulement au droit, mais également aux valeurs qui devraient sous-tendre la constitution de tout gouvernement.
Pour rappel, la Région wallonne a permis la livraison d’armes à plusieurs pays coupables de crimes de guerre ces dernières années, et ce pour plusieurs milliards d’euros. Elle l’a fait en violation flagrante du Traité sur le commerce des armes, de la Position commune de l’Union européenne et du décret wallon du 21 juin 2012. Le 14 juin dernier, le Conseil d’Etat annulait d’ailleurs huit licences d’exportation d’armes car la Région wallonne avait “omis d’examiner un des critères prévus par la législation qui consiste à vérifier le comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international”. Pourtant, malgré les arrêts du Conseil d’Etat, les livraisons d’armes wallonnes à des Etats coupables de crimes de guerres se sont poursuivies et se poursuivent peut-être encore actuellement.
Deux enquêtes récentes montrent en effet que des armes et des équipements militaires wallons vendus à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis sont engagés dans la guerre au Yémen, avec un risque élevé de leur utilisation dans des attaques illégales contre des populations civiles. Car, depuis 2015 et le démarrage de l’intervention militaire menée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, près de 100.000 personnes ont été tuées dont un grand nombre d’enfants et des crimes de guerres ont été commis par toutes les parties au conflit. En livrant des armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, la Wallonie risque de se rendre complice de ces crimes de guerre.
Nous sommes scandalisés par le cynisme et le non-respect du droit, notamment wallon, par la Région wallonne. Les défenseurs de l’industrie de l’armement nous disent souvent, “si ce n’est pas nous, ce sera quelqu’un d’autre”. Mais cet argument convainc de moins en moins car il revient à plaider pour une violation de plus en plus flagrante du droit. De plus, l’opposition aux ventes d’armes irresponsables se répand peu à peu. Ainsi, 13 pays occidentaux et l’Union européenne ont récemment pris des décisions en vue d’un arrêt des ventes d’armes aux parties au conflit yéménite, rendant la position de la Région wallonne de plus en plus intenable.
C’est pourquoi nous appelons les négociatrices et les négociateurs wallons à inscrire dans la déclaration gouvernementale en préparation un engagement à l’arrêt immédiat des ventes et des exportations d’armes à destination de pays qui commettent de graves violations du droit international humanitaire et des droits humains (dont les droits de l’enfant). Nous les appelons également à revoir le décret du 21 juin 2012 sur base des recommandations déjà formulées par les ONGs et à reconnaître l’impact humanitaire et à long terme de ces armes sur les populations civiles, notamment (mais pas seulement) du Yémen. Nous appelons enfin la future majorité à convoquer une commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur les exportations d’armes déjà réalisées.
Il est en effet urgent que le gouvernement wallon respecte le droit, notamment celui dont il s’est lui-même doté, et cesse de faire passer les intérêts économiques avant les vies de civils et le respect de ses engagements internationaux. Il est urgent qu’à tous les niveaux de pouvoir, européen, fédéral et régional, la vie des civils et le respect du droit soient considérés comme prioritaires par rapport aux intérêts économiques particuliers. Parce qu’on ne marchande pas avec les armes, et certainement pas pour constituer un gouvernement.
Amnesty International
Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie
Greenpeace Belgique
Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité
Handicap International – Humanity & Inclusion
Médecins du Monde Belgique
Ligue des droits humains
Oxfam-Solidarité
Plan International
(texte publié dans La Libre du 20 août 2019)
[1] Amnesty International, CNCD-11.11.11, Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie, Greenpeace Belgique, Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, Handicap International Belgique, Médecins du Monde Belgique, Ligue des Droits Humains et Oxfam Solidarité.