Plus que jamais, les milices et groupes armés pullulent en République démocratique du Congo (RDC). Des régions jusque-là épargnées sont touchées, et tout particulièrement le Kasaï, mais la violence et l’insécurité – déjà omniprésentes depuis plus de deux décennies – sont en pleine recrudescence dans l’est du pays[1].

Crédit photo: Des Casques bleus de la MONUSCO en patrouille en République démocratique du Congo. Photo ONU/Sylvain Liechti

Un triste indicateur de l’activité des groupes armés est l’évolution du nombre de personnes déplacées à l’intérieur de la RDC. Celui-ci a littéralement explosé, passant de 2 millions au début de l’année pour atteindre 4 millions en août 2017, auquel il faudrait ajouter plus 600 000 réfugiés dans les pays limitrophes. La situation catastrophique au Kasaï n’explique pas à elle-seule cette évolution. En effet, si 1,4 million de déplacés sont originaires de cette région, la majorité provient toujours de l’est du pays où près d’un million de déplacés supplémentaires ont été enregistrés en une année[2].

Le Kivu, épicentre de la violence

La province la plus affectée demeure le Nord-Kivu, avec près d’un million de déplacés, sur 6 à 7 millions d’habitants. Le nord de la province vit sous la menace d’une milice d’obédience musulmane d’origine ougandaise, les Forces démocratiques alliées (ADF), présente au Congo depuis la fin du règne de Mobutu. Cependant, de nombreux observateurs et habitants sont persuadés qu’au moins une partie des exactions qui lui sont attribuées sont en réalité commises par des groupes congolais contrôlés par des potentats locaux, eux-mêmes agissant avec le soutien de Kinshasa ou de pays voisins, et avec l’implication d’officiers des Forces armées de RDC (FARDC), c’est-à-dire les forces de sécurité officielles. Après une année de baisse de leurs activités, les tueries des « présumés ADF » semblent reprendre de plus belle, tandis que d’autres groupes émergent un peu plus au sud, entre Butembo, la seconde ville de la province, et Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu.

Outre ceux qui déclarent s’opposer aux ADF, comme les « Maï-Maï Corps du Christ », de nombreux groupes se forment sur des bases ethniques, se cristallisant surtout autour de l’opposition entre les deux principales communautés de la province, les Nande et les Hutu. Des chefs nande ont créé diverses milices maï-maï, s’opposant à des groupes de Hutu, congolais, mais aussi rwandais, dont les célèbres Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), issues des anciennes Forces armées rwandaises, acteur majeur du génocide de 1994. La plupart de ces groupes affrontent aussi régulièrement les FARDC, voire la MONUSCO, la force onusienne déployée depuis près de vingt ans dans le pays. D’autres milices, se réclamant le plus souvent de la bannière Maï-Maï et prétendant « protéger leur communauté », écument le reste de la province, pratiquant le braconnage et la pêche clandestine, s’emparant de carrés miniers, rackettant les paysans et les véhicules, pillant les villages de communautés « ennemies », violant leurs femmes et commettant une litanie ininterrompue de massacres.

La situation est à peine meilleure dans la province voisine du Sud-Kivu. Sa partie septentrionale est la proie de diverses factions des Raïa Mutomboki (« citoyens en colère »), créées à l’origine pour lutter contre les FDLR, mais s’étant depuis scindées sur des lignes ethniques et ayant sombré dans le banditisme ordinaire. Plus au sud, divers groupes armés burundais ont trouvé au Congo une base arrière pour lancer des raids sur leur pays d’origine et ont noué des alliances avec des groupes Maï-Maï, en particulier celui de Yakutumba. Disposant d’une flotte pirate sur le lac Tanganyika, ce dernier est actif de la grande ville d’Uvira – dont il a failli s’emparer en septembre 2017 – jusqu’au nord de la province du Tanganyika. Notons que Yakutumba est un des rares chefs de guerre à afficher des revendications clairement politiques, à savoir le départ du président Kabila, rejoignant en cela ses alliés burundais, en guerre contre le président Nkurunziza.

Des provinces orientales fortement instables

Encore plus au sud, dans la province du Tanganyika, les affrontements entre Bantous (Luba) et Pygmées (Twa) reprennent périodiquement malgré des médiations et des semblants de réconciliation communautaire. Contrairement au Kivu, où les armes automatiques prédominent, les armes artisanales ont ici la préférence des protagonistes. Le cœur du conflit semble être lié à la déforestation, qui a chassé les Twa de leurs territoires ancestraux et les a forcés à se consacrer à l’agriculture pour survivre, entrant ainsi en concurrence avec les paysans luba. Un cycle – jusqu’à présent ininterrompu – de violences et de représailles a produit une guerre intermittente et vicieuse, jetant sur les routes environ un demi-million de personnes.

L’autre grande inquiétude au Tanganyika, ainsi que dans les zones limitrophes appartenant à l’ex-province du Katanga, concerne les signes de résurgence des Kata Katanga (« couper le Katanga »), des Maï-Maï ayant prôné pendant quelques années la sécession du Katanga. Bien que leur chef, Gédéon, se soit rendu en octobre 2016, faisant allégeance au président Kabila, lui-même supposé être d’origine katangaise, les derniers mois ont connu des incidents impliquant des reliquats de sa milice. Ceux-ci, comme c’est souvent le cas lorsqu’un chef annonce sa reddition, se sentiraient laissés pour compte, n’ayant pas bénéficié des honneurs officiels dévolus à Gédéon, en dépit de sa condamnation à mort en 2009.

Dans le nord-est de la RDC, la situation demeure tendue dans la province de l’Ituri. Bien que les conflits interethniques – qui ont débouché sur les terribles massacres de 2002-2003 et sur l’opération Artemis de l’armée française – semblent être apaisés, un des principaux acteurs de ces exactions, les Forces de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI), est toujours actif dans le territoire d’Irumu, s’en prenant aux civils et affrontant régulièrement les FARDC et la MONUSCO. Un peu plus à l’ouest, dans le territoire de Mambasa, divers groupes Maï-Mai s’emparent de sites miniers et exterminent la faune du parc d’Epulu, principale réserve d’okapis de la planète.

Depuis quelques mois, le nord de l’Ituri et la province voisine du Haut-Uélé subissent des incursions de groupes armés sud-soudanais et de l’armée gouvernementale, l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA). Le Haut-Uélé est également le théâtre de régulières attaques de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), à l’origine une milice chrétienne intégriste du nord de l’Ouganda, mais depuis basée dans une enclave contestée entre le Soudan et le Sud-Soudan. La LRA est surtout active dans l’est de la République centrafricaine (RCA), mais n’hésite pas à mener des raids jusqu’en RDC, braconnant les éléphants du parc de la Garamba, enlevant des civils et pillant des sites artisanaux d’extraction minière. Le retrait, entamé en avril 2017, des forces spéciales des États-Unis assistant une force africaine, essentiellement ougandaise, de traque de la LRA fait craindre une recrudescence des activités de cette dernière, malgré de nombreuses défections et un nombre réduit – moins de 300 – de combattants.

Ces régions affectées par les groupes armés, du Tanganyika au Haut-Uélé, sont toutes situées à proximité des frontières orientales ou nord-orientales de la RDC et sont plus ou moins directement victimes de l’instabilité régnant chez certains de ses voisins, en particulier la RCA, le Sud-Soudan et le Burundi, instabilité aggravée par des frontières poreuses et une grande disponibilité des armes de guerre, ce qui favorise les incursions ou l’installation au Congo de leurs groupes armés. En outre, dans le cas du Rwanda et de l’Ouganda, il semble avéré que, pendant longtemps, les autorités de ces pays ont soutenu des rébellions afin d’affaiblir leur grand voisin et en tirer des dividendes politiques et économiques.

La déliquescence de l’État comme vecteur d’instabilité ?

Cependant, des régions plus éloignées des frontières commencent à être touchées par des formations Maï-Maï, en particulier les provinces du Maniema et de la Tshopo. S’il semble que certains de ces groupes aient migré du Kivu, d’autres sont de souche locale. Comme ailleurs, ces derniers semblent profiter de l’absence d’État et de forces de sécurité dans ces régions ou se constituer en réaction aux abus commis par les soldats des FARDC.

Le phénomène des Maï-Maï s’est développé en réaction à l’invasion rwando-ougandaise entre 1998 à 2003. Le retrait des forces d’occupation n’a pourtant nullement marqué son déclin, bien au contraire. Mobilisant au départ au nom de la défense de leur communauté (face aux armées ou aux groupes armés étrangers, puis face aux milices des communautés ressenties comme rivales), les groupes de Maï-Maï ont mal vécu leur désarmement et leur démobilisation. L’échec de la plupart des combattants à s’intégrer dans les FARDC ou à retourner dans la vie civile les a poussés à reprendre le maquis, devenant des bandits de grand chemin seulement motivés par leur propre survie. Ce phénomène a été favorisé par la déliquescence de l’État congolais, une croissance économique n’ayant profité qu’à une poignée de proches du pouvoir et une corruption omniprésente. En outre, l’obstination de Joseph Kabila à rester coûte que coûte au pouvoir fait dire à certains que seule la pression des armes parviendra à le faire partir. Cela n’empêche pas de nombreux observateurs de considérer que l’instabilité dans l’Est est délibérément entretenue par Kinshasa afin de justifier la non-tenue d’élection, constitutionnellement prévues en 2016, mais dont le report à 2019 a déjà été annoncé. Quoi qu’il en soit, il semble certain que tant que la même équipe restera aux commandes de la RDC, les groupes armés congolais et étrangers continueront à proliférer et à jeter sur les routes des milliers de familles dont ils prétendent être les porte-parole et les protecteurs.

L’auteur

Georges Berghezan, chercheur au GRIP.

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pdf Est du Congo: à qui profite la prolifération des groupes armés?


[1]. Article publié par « Les Grands Dossiers de Diplomatie » n° 42 (décembre 2017/janvier 2018)

[2]. Ces chiffres proviennent de divers bilans du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU, dont République démocratique du Congo : Personnes déplacées internes et retournées (juin 2017).