Son deuxième et dernier quinquennat a expiré le 19 décembre 2016. Mais Joseph Kabila, président de la République démocratique du Congo depuis le 26 janvier 2001, ne semble guère disposé à passer la main. En dépit de la pression internationale et des tensions internes suscitées par ses manœuvres, le « Raïs », comme l’appellent affectueusement ses partisans, règne de main de maître sur le Congo.

(Photo: ONU/Ryan Brown)

Taiseux et discret, Joseph Kabila est l’un des hommes les plus riches du continent. D’une origine mal connue, qui suscite encore souvent la controverse, il oscille entre plusieurs zones d’influences linguistiques et géostratégiques. L’homme a bâti sa fortune grâce à un réseau impliquant de puissants milieux d’affaires dont font notamment partie l’Israélien Dan Gertler, le Groupe Blattner Elwyn ou Albert Yuma.  À la tête d’un territoire couvrant près de 8 % de l’Afrique et partageant près de 11 000 kilomètres de frontières avec neuf voisins, il a assumé, durant sa quinzaine d’années passée au pouvoir, la présidence d’organisations sous-régionales, dont la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), ainsi que la vice-présidence de l’Union africaine.

Cet éclairage fait partie du projet du GRIP «Dossier élections RDC: portraits et éclairages thématiques». Il est publié parallèlement à l'éclairage «La société civile et les défis de la nouvelle transition congolaise

D’un passé controversé à un leadership évitant

Né le 4 juin 1971 à Mpiki au Sud-Kivu, en territoire de Fizi, dans un maquis des rebelles zaïrois de l’époque, il est l’un des enfants de Laurent-Désiré Kabila (dont l’identité a également été controversée), maquisard d’inspiration socialiste et marxiste. Joseph Kabila passe donc une bonne partie de sa jeunesse entre les armes et les trafics.

Originaire de l’actuelle province du Tanganyika, Laurent-Désiré Kabila rencontre plusieurs femmes dans son parcours de maquisard et trafiquant, dont Sifa Mahanya, originaire du Maniema. De leur union sont nés Joseph, sa jumelle Jaynet et son frère cadet Zoé, ces deux derniers siégeant comme députés au Parlement congolais. Joseph n’est pas le seul prénom connu de l’actuel Président. Pour des raisons de sécurité[1], il en portait d’autres : Mtwale, Christopher, Hyppolite, etc. C’est plus tard que le patronyme de « Kabange » – porté par le second des jumeaux chez les Baluba du Katanga – lui a été adjoint par des hommes politiques katangais, qui avaient pour mission d’asseoir l’image politique de Joseph Kabila au Katanga[2].

Celui à qui on attribue – à tort ou à raison – des nationalités de pays voisins a passé une partie de son enfance en Tanzanie, dans les pêcheries clandestines de son père sur le lac Tanganyika, ainsi qu’en Ouganda où il fit un bref passage à la faculté de droit de l’Université de Makerere, avant de rejoindre le Rwanda en 1996, où il a été confié à James Kabarebe – futur chef d’état-major congolais et ministre rwandais de la Défense – qui l’initie brièvement aux armes et au commandement militaire. « Afande Hyppo », comme l’appelaient ses compagnons d’armes, rentre en RDC à la suite des troupes de l’AFDL à la mi-1996.

Sa vision politique n’est pas claire. Lorsqu’il prend le pouvoir, Joseph Kabila promet de poursuivre l’agenda politique de son père. Mais, très vite, ce n’est pas le jeune bercé de marxisme qui apparaît : il lève le monopole d’État sur l’exploitation minière et ramène le franc congolais au régime de change flottant. En mars 2002, il crée un parti se définissant social-démocrate, mais son enracinement dans la classe laborieuse chancèle suite à sa vision inconstante et à ses liens privilégiés avec l’élite du pays. Par ailleurs, ses liens économiques poussés avec la Chine n’ont pas plu aux partenaires traditionnels de la RDC.

Diplomatiquement, Joseph Kabila maintient une coopération étroite avec l’Angola, qui trouve bien des avantages à être le garant d’une RDC faible mais stable, tandis que le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi trouvent en Joseph Kabila un bon atout quant au maintien de l’instabilité à la frontière orientale de la RDC.

D’une transition instable à deux élections chahutées

Entre 1998 et 2002, après l’éclatement de la « deuxième guerre du Congo », le pays est morcelé en zones administrées par plusieurs rébellions et des troupes étrangères. En novembre 2000, Joseph Kabila, alors commandant des forces terrestres, supervise avec John Numbi, alors son adjoint chargé du Katanga, la bataille de Pweto contre les forces du RCD-Goma, une rébellion soutenue par le Rwanda. La bataille se déroule à la frontière zambienne près du lac Moero. Les forces gouvernementales subissent une cuisante défaite, menaçant Lubumbashi[3], deuxième ville du pays. Kabila et Numbi s’échappent en hélicoptère via la Zambie[4]. Pour Laurent-Désiré Kabila, son fils est coupable de trahison et, pour le punir, il l’envoie parfaire son cursus militaire à Pékin.

Lorsque, deux mois plus tard, Laurent-Désiré est assassiné, Joseph rentre de Chine et est désigné Président de la République par l’entourage de son père, soutenu par le président du Zimbabwe, Robert Mugabe[5]. Une nouvelle phase s’ouvre dans l’histoire de la RDC. Un homme de 29 ans, sans expérience politique, est confronté au défi de pacifier, réunifier et reconstruire un pays dont les autorités légitimes ne contrôlent même pas la moitié du territoire.

À l’issue d’un accord conclu en Afrique du Sud, les troupes étrangères quittent le Congo, la « deuxième guerre » prend fin et un gouvernement de transition présidé par Joseph Kabila et incluant les principaux chefs rebelles est mis en place en 2003. Cependant, la paix est loin d’être rétablie, en particulier au Kivu, en proie à divers groupes armés, dont certains sont téléguidés par le Rwanda et l’Ouganda voisins.

Malgré de multiples tiraillements, la transition aboutit à l’adoption, en février 2006, de la Constitution de la 3e République. Ceci ouvre la voie aux premières élections présidentielles et législatives libres de l’histoire congolaise. Présenté comme l’homme de la rupture par ses supporters, Joseph Kabila arrive en tête du premier tour des présidentielles avec 44,81 % des voix, précédant l’ancien chef rebelle, Jean-Pierre Bemba, qui en obtient 20,03 %. Le second tour se joue dans un climat de balkanisation sociologique de la RDC. Kabila, en tête dans les provinces swahiliphones de l’Est, remporte les élections avec 58,05 % des voix, alors que son challenger est plébiscité dans l’Ouest, sauf au Bandundu, grâce à l’alliance du camp de Kabila avec Antoine Gizenga, l’un des derniers lieutenants de Lumumba encore actif sur la scène politique congolaise. Mais Bemba refuse de reconnaître l’élection de Kabila et Kinshasa sombre dans la confusion. Les gardes rapprochées de deux candidats se combattent férocement, entraînant la mort de nombreux civils et des dégâts matériels importants[6]. En avril 2007, Bemba s’exile au Portugal, puis est arrêté en mai 2008 à Bruxelles et extradé à la Cour pénale internationale.

Antoine Gizenga devient alors Premier ministre. L’aura dont dispose le compagnon de Lumumba n’empêche pas un discrédit grandissant du pouvoir au sein de la population. En 2010, après plusieurs scandales de corruption[7], les affaires Chebeya et Bundu Dia Kongo, une insécurité persistante dans l’Est et l’entrée en lice de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi qui avaient boycotté les élections de 2006, la cote de popularité de Kabila est en chute libre. Afin d’augmenter ses chances de remporter les élections suivantes et malgré la propagation de la contestation jusque dans les rangs de sa majorité[8], il fait modifier la Constitution, ramenant l’élection du Président de la République à un seul tour.

Les élections de 2011 se tiennent dans un climat tout sauf apaisé. Le jour du scrutin, le 28 novembre, de nombreux cas de fraude sont signalés[9]. Quelques jours plus tard, la Commission électorale proclame Joseph Kabila vainqueur avec 48,95 % des voix. Étienne Tshisekedi en aurait obtenu 32,33 %, mais s’autoproclame président élu[10].

Le maintien au pouvoir à tout prix ?

Dégagé du vieil opposant, Kabila explore de nouveaux moyens de se maintenir au pouvoir. En 2013 et 2014, sa majorité propose une révision de la Constitution incluant notamment la fin de la limitation du nombre de mandats du Président de la République. Mais, très vite, le régime doit faire face à la société civile qui essaie de lui barrer la route. Lors qu’en janvier 2015, la majorité présidentielle tente un forcing à l’Assemblée nationale avec une loi électorale modifiée disposant que la liste des électeurs « doit être actualisée en tenant compte de l’évolution des données démographiques et de l’identification de la population »[11], consacrant ainsi un probable report des élections[12], la grogne politique se mue en insurrection populaire qui aboutit au retrait de la disposition contestée, mais aussi à de nombreux morts et à des arrestations d’opposants et d’activistes.

Ces événements coïncident avec la parution d’un article de Forbes Afrique qui estime à 15 milliards la fortune personnelle connue de Joseph Kabila[13]. Tout ceci fragilise sa majorité qui enregistre d’abord une fronde, puis la perte d’un allié majeur, Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, qui quitte le parti présidentiel.

Néanmoins, en mai 2016, un arrêt de la Cour constitutionnelle autorise Joseph Kabila à rester au pouvoir au-delà de son mandat, au cas où les élections ne sont pas organisées dans les délais prévus[14]. En septembre 2016, après le retour de Tshisekedi à Kinshasa, des manifestations massives appellent Kabila à démissionner à la fin de son mandat[15]. Cependant, dix jours plus tard, la Commission électorale annonce que l’élection ne pourra se tenir avant 2018[16]. Les États-Unis et l’Union européenne prennent alors des sanctions contre des membres de l’entourage de Kabila impliqués dans la répression de l’opposition.

À l’issue d’un accord politique conclu le 18 octobre avec une frange de l’opposition, la majorité présidentielle tente d’avaliser le report des élections, mais sans modifier la Constitution. Cependant, le 12 novembre, recevant une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies, Kabila évoque un éventuel amendement à la Constitution, laissant entrevoir qu’il briguera un troisième mandat[17]. Bien qu’un nouvel accord semble à portée de main à la suite du nouveau dialogue initié par la CENCO, il est prématuré de croire que les négociations réussiront à résoudre la crise née de la non-tenue des élections. Reste à voir si les rues de RDC permettront à Kabila de transformer son désir de se maintenir au pouvoir en réalité…

L’auteur

Marcel-Héritier Kapitene, titulaire d’une licence en sciences économiques et financières, est chercheur associé au GRIP.

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[1]. BRAECKMAN Colette, « On ne connaît pas le président Kabila », Le Soir, 6 décembre 2006.

[4]. MULONGO Freddy, En toute liberté, Tome II : Citoyenneté, Droits et Libertés, Paris, éd. Edilivre, Coll. Classique, 2012.

[5]. BRAECKMAN Colette, « La mort de Kabila : nouvelle donne dans la guerre en RDC », Politique africaine, 2/2001 (N° 82), p. 151-159.

[6]. VAN WOUDENBERG Anneke, « Diary: Congo », London Review of Book, vol. 28, n°20, 19 octobre 2006.

[7]. Jacquemot Pierre, « La résistance à la  » bonne gouvernance  » dans un État africain. Réflexions autour du cas congolais (RDC) », Revue Tiers Monde, 4/2010 (n°204), p. 129-146.

[8]. En 2010, plusieurs anciens alliés de Kabila ont tenté de créer un nouveau courant politique, le Centre libéral et patriotique. Cf. Wondo Jean-Jacques, « La Majorité présidentielle : Dire non à un troisième mandat de Kabila », DESC, 30 septembre 2014.

[9]. DIUMI SHUTSHA Dieudonné, « La question de la fraude électorale en République démocratique du Congo », Analyses et Études – Monde et Droits de l’homme, SIREAS, 2011/16.

[13]. Hakim Arif, « Joseph Kabila: un dictateur qui vaut 15 milliards de dollars », Le Huffington Post, 2 septembre 2014.

[15]. « DR Congo election: 17 dead in anti-Kabila protests », BBC News, 19 septembre 2016.

[16]. Wilson Thomas et Mbatha Amogelgang, « Congo Election Body Proposes Two-Year Wait for Presidential Vote », Bloomberg BusinessWeek, 29 septembre 2016.