Le 24 septembre 2021, Paul Quilès nous a quittés. Nous avions noué une relation amicale importante depuis notre première rencontre à l’automne 2011 et ces lignes sont écrites pour lui rendre hommage en raison de son combat engagé en faveur du désarmement nucléaire.
Paul Quilès a occupé de nombreuses fonctions ministérielles, ministre des Transports, du Logement, des Postes et télécommunications et de l’espace et de la Défense. Ce dernier poste, occupé pendant seulement six mois (20 septembre 1985 – 20 mars 1986), a sans aucun doute marqué la suite de sa carrière politique, qui l’a ainsi vu être président de la commission de la Défense et des Forces Armées, et vice-président de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale.
Il fait partie de ces hommes ayant vécu avec la Bombe et ayant soutenu la politique de dissuasion nucléaire. En 1985, il s’est même baigné dans les eaux du lagon de Mururoa au lendemain d’un essai nucléaire souterrain.
Par la suite, en raison de changements géopolitiques majeurs (1989/1991) au moment charnière de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement du bloc communiste, il a néanmoins engagé un processus de réflexion personnel et politique en faveur du désarmement nucléaire
C’est dans ce cadre que nous avons été amenés à nous rencontrer en 2011 afin de discuter avec Bernard Norlain, général d’armée aérienne, de désarmement nucléaire. Ces deux hommes, que leurs fonctions avaient conduits à être au plus près à la fois de la Bombe et du pouvoir présidentiel, avaient alors adhéré depuis quelques mois à l’organisation américaine Global Zero
Paul trouvait incroyable de voir la quasi-absence de débat au sein des partis politiques français sur les armes nucléaires, tout reposant sur la doxa : « La bombe est une assurance-vie. » Cette expression, Paul jugea bon de la transformer en « assurance mort »..
Paul aimait reprendre le philosophe Alain : « On peut tout prouver, si les mots dont on se sert ne sont pas clairement définis ». Cette phrase, expliquait-il, « éclaire d’une lumière crue certains affrontements qui scandent la vie politique. En évitant de définir les mots, en les rattachant à des concepts eux-mêmes mal définis, en ne précisant pas le contexte dans lequel on les utilise, effectivement “on peut tout prouver” ». C’est contre ces croyances et raccourcis favorables au nucléaire militaire que Paul décida de publier en 2012 un premier ouvrage collaboratif « Nucléaire, un mensonge français ».
Acteur et membre fidèle du parti socialiste, il souhaita engager le parti de Jaurès, dont il fut un grand admirateur et fervent promoteur, à réfléchir sur la pertinence de cette politique de dissuasion nucléaire en ce début de XXIe siècle. Toutefois, il dû faire face au refus de ce parti – alors au pouvoir avec le président Hollande – de vouloir engager une réflexion ouverte sur la politique de défense de la France. Les réponses aux lettres qu’il avait adressées au Président au début de son mandat lui confirmèrent le refus du pouvoir, ne serait-ce que, de discuter de la Bombe.
Sa volonté d’ouvrir le débat s’inscrivait dans une démarche selon lui nécessaire à la vie et la sauvegarde de notre démocratie : « Il faut une large information publique, pour qu’une adhésion populaire puisse se manifester. Nous sommes tout de même en démocratie, même si l’on entend souvent dire que l’utilisation du nucléaire ne peut pas s’accommoder d’un processus démocratique ». C’est ainsi l’une des raisons qui le poussa à fonder, avec B. Norlain et moi-même, une première organisation au nom provocateur « Arrêtez La Bombe », qui sera transposée en 2016 dans une nouvelle association : Initiatives pour le Désarmement Nucléaire. Notre objectif était alors, avec les autres organisations existantes en France, mais aussi à travers des collaborations avec le GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité) de mobiliser les médias, les citoyens et les politiciens sur ce sujet « atomique » trop souvent impensé.
Le 5 juin 2017, à la suite de la victoire d’un inconnu en politique, Paul eut l’espoir de susciter chez cet homme une prise de conscience. Après tout, Emmanuel Macron est jeune et n’a pas connu l’adoration de la Bombe du temps de la Guerre froide. Paul lui adressera ces mots : « Il n’est pas raisonnable de continuer à s’arc-bouter sur le maintien d’une arme que nombre d’experts militaires et stratégiques s’accordent à reconnaître comme obsolète et inadaptée […]. Les principales menaces à notre sécurité proviennent aujourd’hui du terrorisme, des cyber attaques, de la criminalité organisée, des pandémies, du changement climatique et ne sauraient être dissuadées par un arsenal nucléaire ». Las, ce huitième président de la Ve république française ne fera que reproduire la politique de ses prédécesseurs depuis de Gaulle.
Maire de Cordes-sur-Ciel, Paul a fait adhérer ce « plus beau village de France » à l’organisation des Maires pour la paix. Puis, sur proposition de la branche française de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), en 2019, il soumet au vote de son conseil municipal une délibération, qui sera adoptée à l’unanimité, pour soutenir le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Un acte politique et symbolique pour protéger sa ville du péril atomique.
En quelques années Paul aura publié et co-publié quatre* recueils et livres sur l’arme nucléaire, toujours dans une volonté de montrer le danger de cette arme de destruction massive, la nécessité de respecter et d’appliquer le Traité de non-prolifération nucléaire, l’importance de la nouvelle norme juridique que constitue le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires, l’absence de consensus des Français en faveur de la Bombe, les coûts financiers exorbitants ou encore les illusions nucléaires « vendues » par les communicants nucléaires.
Paul manquera. Les personnes capables de porter la remise en cause d’une logique atomique prétendant faire de la menace d’un crime de masse contre l’humanité une garantie de sécurité sont trop peu nombreuses en France. Il reste cependant de Paul des écrits, un engagement et une conviction pouvant servir d’inspiration à ceux et celles qui refusent les dogmes forcément trompeurs.
- Nucléaire, un mensonge français : réflexions sur le désarmement nucléaire, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2012.
- Arrêtez la bombe ! (en collaboration avec Jean-Marie Collin et Bernard Norlain), Paris, Cherche Midi, 2013.
- Quelques citations sur les armes nucléaires : À lire pour éviter d’appuyer sur le bouton nucléaire, Éditions Publishroom, 2017.
- L’Illusion nucléaire. La face cachée de la bombe atomique, (en collaboration avec Jean-Marie Collin et Michel Drain), Éditions Charles Léopold Mayer, 2018.
Chercheur associé au GRIP, Jean-Marie Collin est un consultant indépendant sur les questions de défense et de sécurité internationale, avec une expertise plus particulière dans les domaines du contrôle des armements, de la dissuasion nucléaire, de la non-prolifération et du désarmement nucléaire, ce qui lui a permis de participer à l’ensemble du processus (2010/2017) dit de « l’initiative humanitaire » et de négociation du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.