Le 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) a délivré deux mandats d’arrêt contre de hauts responsables israéliens, dans le cadre de l’enquête du Bureau du Procureur sur la situation dans l’État de Palestine. Ces mandats visent le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, limogé deux semaines plus tôt[1]. D’après le mandat, il existe des motifs raisonnables de croire que Nétanyahou et Gallant sont responsables de la commission de plusieurs crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La Chambre a aussi émis un mandat d’arrêt à l’encontre Mohammed Deif, commandant de l’aile militaire du Hamas[2]. L’émission de ces mandats d’arrêt fait suite à une requête en ce sens déposée six mois plus tôt par le Procureur de la CPI, le Britannique Karim Khan[3].

L’émission de ces mandats d’arrêt a suscité des réactions internationales contrastées en Europe, parmi les États parties au Statut de Rome de la CPI[4]. Certains chefs de gouvernements, comme en Irlande ou en Belgique, ont annoncé que leur pays exécuterait ces mandats le cas échéant[5]. À l’opposée, le Premier ministre hongrois a annoncé qu’il invitait Netanyahou en Hongrie en lui garantissait que ce mandat d’arrêt « n’aura pas d’effet[6] ».

Certains autres États parties au Statut de Rome ont envoyé un message moins clair. Le gouvernement allemand a annoncé qu’il « examiner[ait] consciencieusement les mesures nationales » pour donner suite à ces mandats d’arrêt[7]. Le gouvernement britannique évoquait quant à lui « une procédure judiciaire nationale par le biais de [ses] tribunaux indépendants qui détermine si un mandat d’arrêt de la CPI doit être approuvé ou non[8] ». Les gouvernements italien et français étaient plus précis sur la question à laquelle ces procédures judiciaires nationales devraient répondre : il faudrait déterminer si Nétanyahou et Gallant bénéficient d’immunités en droit international, qui les protègeraient contre une arrestation par une police étrangère[9].

L’objectif de cet éclairage est de mettre en lumière les problématiques complexes liées à l’exécution des mandats d’arrêt de la CPI quand ils visent des personnes pouvant bénéficier d’immunités. Par souci de concision, il se concentre sur les immunités dont pourrait bénéficier Nétanyahou, le cas de Gallant soulevant encore des questions différentes, liées à la portée des immunités fonctionnelles d’un ex-ministre[10]. D’une part, cet éclairage montre que ces questions juridiques continuent à faire l’objet de débats. D’autre part, il montre que certains États instrumentalisent ces questions juridiques en fonction de l’identité et de la nationalité des personnes recherchées.

Cet éclairage procède en quatre temps. (1) D’abord, il revient sur l’origine des immunités en droit international. (2) Ensuite, il analyse la façon dont le texte du Statut de Rome traite cette question des immunités. (3) Puis, il se penche sur la jurisprudence controversée de la CPI à ce sujet. (4) Enfin, il démontre que plusieurs États qui invoquent aujourd’hui une immunité pour Netanyahou n’avaient pas eu la même réaction lorsque la CPI avait émis un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine.

 

[1] « Situation dans l’État de Palestine : La Chambre préliminaire I de la CPI rejette les exceptions d’incompétence soulevées par l’État d’Israël et délivre des mandats d’arrêt à l’encontre de MM. Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant », Cour pénale internationale, 21 novembre 2024.

[2] « Situation dans l’État de Palestine : La Chambre préliminaire I de la CPI délivre un mandat d’arrêt à l’encontre de Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri (Deif) », Cour pénale internationale, 21 novembre 2024. Israël a annoncé avoir tué Mohammed Deif dans un bombardement sur Gaza en juillet, mais le Procureur de la CPI n’était pas en mesure de confirmer ces informations et a donc maintenu la demande de mandat d’arrêt à son encontre.

[3] « Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan KC : dépôt de requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’État de Palestine », Cour pénale internationale, 20 mai 2024.

[4] ZERROUKY Madjid, « Le monde divisé après les accusations de crimes de guerre portées par la CPI contre les dirigeants israéliens », Le Monde, 22 novembre 2024 ; « STARCEVIC Seb, GIORDANO Elena et JOCHECOVÁ Ketrin, « Netanyahu arrest warrant: Where can he still go in Europe? », Politico, 22 novembre 2024 ; JONES Mared Gwyn, « Fact check: Where do EU countries stand on ICC’s arrest warrant for Netanyahu? », Euronews, 3 décembre 2024 ; INGBER Rebecca, « Mapping State Reactions to the ICC Arrest Warrants for Netanyahu and Gallant », Just Security, 10 décembre 2024.

[5] « Taoiseach and Tánaiste say Ireland would “absolutely” execute arrest warrant against Netanyahu », The Journal, 22 novembre 2024 ; Chambre des représentants de Belgique, « Compte rendu intégral : Séance plénière », CRIV 56 PLEN 014, 28 novembre 2024, p. 12 ; Belga, « Mandat d’arrêt de la CPI contre Benjamin Netanyahu : la Belgique appliquera le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, assure Alexander De Croo », RTBF, 28 novembre 2024.

[6] AFP, « Orbán annonce inviter Netanyahou en Hongrie “en défi” au mandat d’arrêt de la CPI », Le Soir, 22 novembre 2024.

[7] « Erklärung der Bundesregierung zum Beschluss des Internationalen Strafgerichtshofs », Pressemitteilung 293, Die Bundesregierung, 22 novembre 2024.

[8] House of Commons, « Israel-Gaza Conflict: Arrest Warrants », Hansard, vol. 757, 25 novembre 2024.

[9] DISEGNI Simone, « Immunità diplomatica, viaggi, Paesi terzi: i dubbi dell’Italia sul mandato d’arresto a Netanyahu. E Tajani ora dice: “Decisione inattuabile” », Open, 26 novembre 2024 ; « Israël – Cour pénale internationale », France Diplomatie, 27 novembre 2024.

[10] Voir par exemple : WALTHER Isabel, « Functional Immunity Exceptions for Crimes Under International Law – New Developments in German Legislation and Case Law Raising Questions Concerning the Identification of Customary International Law », EJIL:Talk!, 5 août 2024.

 

Crédit photo : le siège de la Cour pénale internationale à La Haye – UN Photo/Rich Bajornas, licence Creative Commons 2.0.