Selon plusieurs rapports du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et de Human Rights Watch, le 15 janvier 1999 a eu lieu le massacre de Račak, du nom de ce village situé dans le centre du Kosovo. En dépit des dénégations de Belgrade, qui a prétendu qu’il s’agissait d’une attaque contre des combattants séparatistes, 45 civils auraient été les victimes de la police serbe. Quelques jours plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies (NU) adoptait une déclaration condamnant énergiquement « le massacre d’Albanais du Kosovo », en pointant que, parmi les victimes, on comptait « des femmes et au moins un enfant ».
Fortement médiatisé, cet événement allait mener plusieurs États de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à proposer un plan de paix à la Yougoslavie puis, devant le refus de cette dernière de l’accepter, à déclencher une campagne de bombardements massifs au mois de mars 1999. Cette opération – baptisée « Force alliée » – abouti, quelques mois plus tard, à l’établissement d’une administration des NU sur le Kosovo (la MINUK) destinée à mettre fin à la répression et à stabiliser la région.
« Droit d’intervention humanitaire »
C’est dans ce contexte qu’émerge le concept de « responsabilité de protéger », qui sera ensuite accepté par l’Assemblée générale des NU à l’occasion du 60ème anniversaire de la Charte, en octobre 2005. En application de celui-ci, « c’est à chaque État qu’il incombe de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité », à défaut de quoi les NU se déclarent « prêt[e]s à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque [l]es moyens pacifiques se révèlent inadéquats […] ». En somme, on trouve ici une codification de l’idée d’un « droit d’intervention humanitaire », soit l’idée que, dans des circonstances exceptionnelles, une action militaire peut être menée pour mettre fin à de graves violations des droits humains.
« Que reste-t-il de l’idée de la « responsabilité de protéger », la question se pose avec d’autant plus d’acuité depuis l’aggravation de la guerre à Gaza »
Que reste-t-il de cette idée, vingt années après sa proclamation par l’Assemblée générale de l’ONU ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité depuis l’aggravation de la guerre à Gaza, lancée à la suite des attentats meurtriers du 7 octobre 2023. Au-delà des querelles sur leur nombre exact, il est difficile de nier que les victimes se sont rapidement comptées par milliers, puis par dizaines de milliers.
Le présent Éclairage tente de répondre à cette question en trois étapes. D’abord, il faut constater que, au vu de la gravité de la situation, il ne fait guère de doutes que les conditions nécessaires pour mettre en œuvre cette responsabilité sont réunies. Cette mise en œuvre aurait pu prendre des formes variées, qui seront évoquées dans un deuxième temps. Cependant, et ce sera le troisième temps du raisonnement, la « R2P » (comme on la désigne parfois à partir de la traduction anglaise de l’expression) avait déjà été discréditée bien avant la nouvelle guerre de Gaza. Finalement, cette dernière apparaît comme le dernier clou dans le cercueil d’un concept dont le succès, particulièrement en Occident, a été aussi intense qu’éphémère.