Ce texte a été publié dans la rubrique OPINION de la RTBF le 24 janvier 2013.

Sur le plan militaire, l’inscription dans un cadre international de l’intervention-assistance française, devenue au fil des jours véritable  » guerre « , se fait progressivement. L’essentiel des troupes de la CEDEAO devrait arriver et être opérationnel d’ici la fin du mois, sans pour autant que les questions du degré de préparation des soldats africains, de leurs capacités à mener des combats de haute intensité, de leur équipement, de leur financement et autres questions logistiques soient résolues. L’effectif de la Mission internationale de soutien au Mali sous commandement africain (MISMA) pourrait être augmenté face à la capacité de résistance des groupes islamistes –laquelle semblerait donc avoir été sous-estimée. Pour ce qui concerne les soutiens européen (en bilatéral et/ou à la MISMA) et américain, après avoir été politiques, ils se limitent (pour l’instant ?) à de l’assistance logistique ou médicale, du conseil, de l’échange de renseignements –les questions des ravitailleurs américains et des avions de reconnaissance britanniques étant toujours en discussion. L’Union européenne, quant à elle, démontre un activisme certain, en accélérant la planification et le déploiement de sa mission de formation des troupes maliennes –tout en l’adaptant aux nouvelles circonstances–, ainsi que le déblocage de fonds destinés à financer tant l’aide humanitaire que le déploiement de la MISMA. Si une fois de plus, l’UE agit dans l’urgence après avoir tardé à agir en prévention, il n’en demeure pas moins que lorsqu’elle a décidé d’agir, tout s’enchaîne assez rapidement.

Questions humanitaires et politiques

Quant aux acteurs humanitaires, ils ont été pris de court : si les bailleurs de fond, tels l’Union européenne, sont en mesure de débloquer des fonds d’urgence, les ONG se heurtent à des problèmes logistiques et sécuritaires qui ralentissent leur déploiement, et ce d’autant plus que nombreuses sont celles qui avaient fui les zones nord. Avec l’intervention  » surprise  » de la France et l’intensification du conflit, de nouveaux déplacés internes s’ajoutent aux personnes déjà déplacées par la dégradation sécuritaire du début 2012. Les chiffres sont flous et les besoins difficiles à évaluer. Les problèmes sanitaires et alimentaires vont continuer à se poser avec acuité non seulement tout au long de la phase d’intervention mais également au-delà, au Mali et dans les pays voisins.

Les troupes françaises ont été accueillies comme  » libératrices  » par le peuple et le gouvernement maliens. Mais une fois les islamistes repoussés hors des villes du nord, la vie devra reprendre son cours : quelle feuille de route politique pour succéder au flou juridique laissé par l’accord-cadre signé par la CEDEAO et la junte putschiste menée par le capitaine Sanogo en avril dernier? Quelle date pour les élections ? Quel cadre de dialogue national ? Quels mécanismes de justice transitionnelle –question d’autant plus importante lorsque l’on connaît le désir de revanche de certains militaires maliens, suite notamment aux massacres d’Aguelhoc? Quelle stratégie d’implantation de l’administration malienne dans les zones du nord ? La visibilité du futur politique, réclamée par le Conseil de sécurité avant toute intervention militaire, se fait elle aussi attendre : il est temps que l’union nationale amorcée à la faveur de l’urgence militaire se concrétise au niveau politique.

Une prise d’otages aux implications multiples

La prise d’otages sur le site gazier de Tiguentourine en Algérie peut être interprétée de plusieurs façons, peut-être toutes recevables par ailleurs. D’un côté, le communiqué est clair : il s’agit d’une  » réaction à la croisade menée par les forces françaises au Mali  » contre les groupes islamistes et l’ » agression  » contre eux au Mali doit cesser. La prise d’otages apparaitrait donc au premier abord comme une marque de solidarité entre la brigade Al-Mulathamin de Mokthar Belmokhtar et les groupes islamistes du nord Mali –et cela même si Belmokhtar a rompu avec AQMI fin 2012. Plus largement, l’on peut penser que les preneurs d’otages ont voulu frapper l’Occident, ses ressortissants et ses intérêts puisque le site gazier était exploité, entre autres, par le Britannique BP et le Norvégien Statoil et que de nombreux ressortissants européens et nord-américains étaient présents: la prise d’otages pourrait tenir lieu d’avertissement « si vous poursuivez l’intervention au Mali et le déploiement de la force internationale, nous nous en prendrons à vos ressortissants et à vos importants intérêts énergétiques « .

Mais d’un autre côté, l’intervention française pourrait servir de prétexte à une action visant plus particulièrement l’Algérie, sa plus importante source de revenus et sa décision de coopérer avec les Français en autorisant  » le survol sans limites de son territoire « . Cette idée est renforcée par la demande de libération d’une centaine de terroristes emprisonnés en Algérie. L’action musclée des forces de défense algériennes a non seulement mis un terme à la prise d’otages mais également à la politique de négociation encouragée par l’Algérie depuis plusieurs mois déjà avec l’un des groupes islamistes présents au nord Mali, Ansar Eddine; elle a également imposé aux Occidentaux sa vision de la lutte antiterroriste en privilégiant la manière forte, quitte à sacrifier la vie des otages. Il est possible de voir dans le délai de réaction des gouvernements européens face à l’assaut algérien, et le caractère ténu voire approbateur des commentaires de certains dirigeants, une volonté de ménager l’allié de poids que représente l’Algérie dans la résolution des crises maliennes. En effet, tant au moment de l’intervention qu’au delà dans le temps de l’après-intervention, elle a un rôle important à jouer dans la sous-région : le survol de son territoire peut faciliter les opérations, pour les avions français notamment ; sa capacité à tenir ses frontières permettra d’empêcher la fuite des islamistes sur son territoire, et l’extension du confit au Niger et à la Libye voisins; sa longue expérience en matière de lutte contre le terrorisme peut certes mener à des issues meurtrières comme celle de Tiguentourine, mais également lui préparer un rôle régional en la matière pour l’après-intervention.

Néanmoins, la prudence reste de mise puisque le jusqu’au-boutisme de la guerre contre le terrorisme que l’Occident, Américains en tête, mène depuis une décennie a montré ses limites dans sa capacité à éradiquer l’idéologie islamiste, montrant que les solutions se trouvaient ailleurs : prioritairement dans les réponses apportées aux préoccupations quotidiennes des populations. (Photo: Forces opérations Blog)