2016, année de tous les dangers en RDC ? C’est en effet en novembre que sont prévues des élections, notamment présidentielles, au sujet desquelles de grands doutes subsistent : d’abord sur leur tenue effective, ensuite sur la candidature du président Kabila.

Qu’elles aient lieu avec la participation de Joseph Kabila, malgré la Constitution qui interdit un troisième mandat consécutif, ou – scénario le plus probable – qu’elles soient reportées sine die, par exemple sous prétexte de difficultés budgétaires, des troubles graves sont prévisibles dans plusieurs régions du pays.

D’abord à Kinshasa, mégapole de plus de dix millions d’habitants et un des fiefs de l’opposition au kabilisme, où nul n’a oublié la sanglante répression des manifestations de janvier 2015, en réaction à l’intention du Parlement – finalement abandonnée sous la pression de la rue – de changer la Constitution pour autoriser ce troisième mandat.

Ensuite, au Kivu, en particulier à Goma et à Bukavu, où la popularité du président est en chute libre depuis plusieurs années, d’une part parce que la population ne profite nullement de la croissance économique du pays (8,9 % en 2014) et, d’autre part, parce qu’elle continue à payer le prix d’une profonde insécurité. Cette insécurité est particulièrement vive dans les campagnes du Nord-Kivu, en proie à des dizaines de groupes armés, congolais et étrangers, s’en prenant essentiellement aux civils.

Le défi katangais

Mais l’avenir de Joseph Kabila passe aussi par le Katanga, fief familial et politique où plusieurs alliés de poids du régime ont ouvertement rompu avec le parti au pouvoir, en particulier Moïse Katumbi, gouverneur de la province jusqu’à son démantèlement en juin 2015.

Le prédécesseur de l’actuel président, Laurent-Désiré Kabila, était un Katangais, originaire de la communauté majoritaire des Balubakat, tandis que Joseph serait né au Sud-Kivu, mais à proximité du Katanga. À Kinshasa, dans l’administration et l’appareil militaire, les ressortissants katangais, en particulier les Balubakat, sont surreprésentés dans les postes à haute responsabilité

Le Katanga a connu des événements historiques révélateurs d’un courant politique fédéraliste, voire sécessionniste : Il n’a été rattaché à l’« État indépendant du Congo » qu’en 1894, soit neuf ans après le Congrès de Berlin qui avait attribué le pays à Léopold II.

Une sécession armée y a éclaté en 1960, quelques jours après l’indépendance ; animée par Moïse Tshombe et soutenue par des intérêts belges et américains, elle n’a été matée qu’en 1963 par l’ONU.

En 1977 et 1978, des rebelles – les Tigres katangais – soutenus par l’Angola voisine se sont emparés du cœur minier de ce qui était alors le Shaba et n’ont été repoussés que grâce à une intervention franco-marocaine.

L’intérêt que portent de nombreuses puissances étrangères au Katanga ne réside pas tant dans son importance démographique, entre 10 et 15 % de la population de RDC, que dans sa richesse minière, qui contribue pour environ un tiers du PIB du pays. Mais, en tant que province, le Katanga n’existe plus depuis juin 2015 car, comme d’autres provinces, elle a été éclatée en entités plus petites, sur la base des anciens districts.

Les ressources minières – cuivre, cobalt, uranium et des dizaines d’autres minerais – sont surtout concentrées dans les deux nouvelles provinces du sud, le Haut-Katanga et le Lualaba, ce qui accroîtra probablement la marginalisation et le retard de développement des deux provinces du nord, le Tanganyika et le Haut-Lomani. Or, c’est surtout dans le nord de l’ex-Katanga que se sont développés depuis près de vingt ans des groupes armés, en particulier les Maï-Maï.

Au départ, ces groupes ont fourni nombre de combattants aux forces de l’Alliance des forces démocratiques de libération qui, avec le soutien du Rwanda et de l’Ouganda, ont renversé en 1997 le président Mobutu et placé Laurent-Désiré Kabila au pouvoir. L’année suivante, après que ce dernier leur a demandé de prendre le chemin du retour, les troupes rwandaises ont envahi l’est de la RDC et, avec l’armée ougandaise et des groupes rebelles à leur service, elles ont pris le contrôle d’environ la moitié du pays. Leur avancée vers le sud a été bloquée dans le nord du Katanga par les groupes Maï-Maï armés par Kinshasa. Après le retrait rwandais à la fin 2002, puis l’échec des tentatives d’intégration des Maï-Maï dans la nouvelle armée congolaise, ces groupes se sont retournés contre l’armée nationale et la population locale, dans une région bientôt affublée du surnom de « triangle de la mort ». Leurs activités ont brusquement cessé lors de l’arrestation de leur chef, Kyungu Mutanga, dit « Gédéon », en mai 2006.

Le Nord-Katanga a ensuite connu quelques années de calme jusqu’à ce que Gédéon, condamné à mort en 2009, s’évade de sa prison de Lubumbashi en septembre 2011. Cette évasion a été rendue possible par l’attaque de la prison par un groupe armé, la Coordination pour l’organisation d’un référendum sur l’autonomie du Katanga (CORAK), une organisation se réclamant des Tigres katangais. La région allait rapidement retomber dans une profonde insécurité. À partir de janvier 2013, les attaques ont été revendiquées par un nouveau mouvement, clairement sécessionniste, les Kata Katanga (du swahili : « couper le Katanga », sous-entendu « du reste de la RDC »), un mouvement dirigé notamment par Gédéon. L’ancien défenseur de l’intégrité territoriale congolaise s’était donc reconverti, apparemment autant par dépit que sous l’influence de ceux qui l’avaient libéré, en un sécessionniste armé.

Si les attaques se sont concentrées dans cinq territoires contigus, actuellement répartis dans trois des nouvelles provinces katangaises, des incursions et attaques se sont déroulées bien plus au sud. La plus spectaculaire a eu lieu à Lubumbashi en mars 2013 quand des centaines de Kata Katanga ont envahi la capitale du cuivre. Après avoir décroché un drapeau congolais et hissé un étendard indépendantiste, ils ont été attaqués par la Garde républicaine qui en a tué des dizaines. Les autres n’ont eu la vie sauve qu’en se réfugiant dans une base de la MONUSCO, la force onusienne déployée en RDC. Les attaques de villages et affrontements avec l’armée régulière se sont intensifiés jusqu’à la mi-2014, lorsque plus de 600 000 Katangais étaient recensés comme personnes déplacées dans leur propre province.

En août 2014, le vent a commencé à tourner lorsque l’armée a investi une base des Kata Katanga et failli capturer Gédéon. Celui-ci s’est échappé in extremis, mais a laissé derrière lui un important arsenal, dont de l’équipement radio provenant de l’armée congolaise. Il ne faisait dès lors plus de doute que les Kata Katanga disposaient d’armes et de soutiens de la part de la hiérarchie militaire.

Cependant, à partir de ce moment, les Kata Katanga ont accumulé les revers, plusieurs lieutenants de Gédéon étant tués ou capturés, d’autres signifiant leur reddition. Au début 2015, l’activité des Kata Katanga se concentrait dans le Malemba Nkulu et le Pweto. À la fin 2015 et au début 2016, seul le Mitwaba connaissait encore un activisme Maï-Maï, mais qui ne semblait pas se revendiquer des Kata Katanga.

De nouveaux rapports de force

L’ascension des Kata Katanga ne peut donc s’expliquer que par des complicités haut-placées. La personnalité la plus souvent citée est le général John Numbi, ancien chef de l’armée, spécialiste de la répression brutale depuis l’époque de Mobutu. Alors qu’il était chef de la police, il a été soupçonné d’avoir commandité le meurtre du défenseur des droits de l’homme, Floribert Chebeya, en 2010. Bien qu’ayant échappé à toute poursuite, il a été démis de ses fonctions et renvoyé dans sa province natale du Katanga. C’est dans sa ferme au nord de Lubumbashi que les Kata Katanga auraient fait escale avant d’investir la ville en mars 2013. Un groupe d’experts de l’ONU a accusé Numbi d’apporter « un appui militaire, financier et logistique » aux Kata Katanga et de bénéficier « d’un certain assentiment aux plus hauts niveaux du gouvernement ».

D’autres sources citent différentes personnalités politiques katangaises parmi les soutiens possibles des Kata Katanga : le pasteur Daniel Mulanda Ngoy, ancien président de la Commission électorale, Jean-Claude Masangu, ancien gouverneur de la Banque centrale, et Gabriel Kyungu, dernier président du parlement katangais et leader d’un parti autonomiste, l’Union nationale des fédéralistes du Congo (UNAFEC), actuellement allié à Moïse Katumbi, lui-même dernier gouverneur du Katanga et principal rival de Kabila en cas d’élection présidentielle.

Si certaines de ces accusations se révèlent exactes, il est à craindre que les Kata Katanga aient été mis « en veilleuse » en attendant les déroulements politiques qui ne manqueront de se produire plus tard dans l’année. Curieusement, ils n’ont pas réagi lors du démantèlement de la province, pourtant dénoncé par la plupart des personnalités katangaises, dont Katumbi et Kyungu. Comptent-ils se réveiller et créer une diversion si Kabila était mis en difficulté par des révoltes populaires dans les grandes villes du pays ? Vont-ils s’allier à la CORAK et aux Tigres et confirmer leur agenda sécessionniste ? Les jeunes de l’UNAFEC et les Fanatiques, mouvement de supporters du club de football du TP Mazembe, présidé par Katumbi, prendront-ils les armes ? Et dans quel camp se rangeront-ils ? Et comment réagiront les Pygmées et les Luba dont les milices ont enterré la hache de guerre en 2015 après un conflit sanglant au Tanganyika ? Les FDLR et autres Maï-Maï Yakutumba reviendront-ils du Sud-Kivu pour participer à la curée ? Les inconnues et les potentiels auteurs de violence armée ne manquent pas.

Du côté des forces officielles, outre l’Agence nationale du renseignement qui surveille étroitement Katumbi, l’empêche de voyager et interdit ses médias, la Garde républicaine – l’unité d’élite de l’armée, en principe sous les ordres directs de Kabila – semble être le seul acteur de poids. Mais elle serait fortement démoralisée – 250 de ses éléments ont fait défection en Zambie en octobre 2015 – et divisée sur des lignes communautaires. Le régime est en train d’amener au Katanga des troupes fraîches et de distribuer des primes pour acheter leur loyauté, mais cela risque de susciter des frustrations, voire des mutineries, dans d’autres secteurs de l’armée. Par ailleurs, d’importants achats d’armement – véhicules anti-émeute, canons à eau, grenades lacrymogènes, hélicoptères de combat, munitions de tous calibres… – sont effectués en Ukraine et déployés dans l’ex-Katanga. De plus en plus isolé politiquement, Kabila est visiblement prêt à recourir à la force pour s’accrocher au pouvoir. Et de nombreux autres y sont également prêts, mais pour s’en débarrasser.

(Sources : Groupes armés au Katanga, épicentre de multiples conflits, Georges Berghezan, Rapport du GRIP 2015/3 ; Analyses de Jean-Jacques Wondo Omanyundu sur Défense et sécurité du Congo (DESC-WONDO))

L’auteur

Georges Berghezan chercheur au GRIP dans l’axe « Conflit, sécurité et gouvernance en Afrique ». Ses travaux portent principalement sur la violence armée, la prolifération d’armes et la prévention des conflits en Afrique centrale, ainsi que le trafic d’armes et de drogue en Afrique de l’Ouest.

(Crédit photo : MONUSCO/Abel Kavanagh)

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pdf Katanga: le calme avant la tempête?