Malgré l’amélioration du cadre macroéconomique vanté jusqu’à la mi-2015 par le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC), le tableau socio-économique du pays reste particulièrement sombre : des conditions de vie dégradées, une monnaie en pleine dépréciation, des infrastructures en ruines, etc. Les espoirs nés de l’avènement des gouvernements Matata 1 & 2 se sont écroulés tel un château de cartes. Les « technocrates »[1] n’ont pas su poser les jalons pour faire de la RDC un pays à revenu intermédiaire en 2016, dernière année de la législature en cours.

Crédit photo : Vue d’un marché à Mbuji Mayi au Kasai-Oriental (Alain Huart-WWF Forest & Agriculture coordinator)

Cet éclairage fait partie du projet du GRIP «Dossier élections RDC : portraits et éclairages thématiques». Il est publié parallèlement au portrait de Samy Badibanga Ntita rédigé par Jean-Jacques Wondo.

Malgré les performances enregistrées, la situation sociale de la population en RDC demeure en-deçà des Objectifs du millénaire pour le développement, avec la traditionnelle justification selon laquelle les ressources devant financer le développement et la lutte contre la pauvreté ont souvent été évincés par les dépenses sécuritaires[2]. En effet, la croissance de l’économie congolaise demeure vigoureuse, bien qu’elle ait décéléré à 7,7 % en 2015 contre 9,2 % en 2014[3]. Alors que la Banque africaine du développement (BAD) prévoit néanmoins une poursuite de la croissance en 2016 et 2017, la pauvreté reste largement répandue dans le pays.

Si Kinshasa connaît un boom immobilier, le sentiment d’exclusion reste puissant chez un grand nombre de citoyens, qui ne bénéficient pas des retombées de la croissance. Les différents indicateurs de pauvreté montrent une situation plus dramatique encore dans l’ex-province Orientale et dans l’ex-Équateur que dans le reste du pays[4]. La pauvreté en RDC est encore essentiellement rurale, mais elle augmente rapidement dans les villes. Dans quelques années, la pauvreté urbaine pourrait dominer, les plus pauvres ayant quitté le milieu rural pour rejoindre les villes, si rien n’est fait pour développer davantage l’agriculture et pour relever le secteur urbain et faire des villes de vrais pôles de développement.

La croissance actuelle repose sur l’exploitation des  mines et sur les sociétés de télécommunications, qui génèrent beaucoup moins d’emplois que l’agriculture familiale, négligée par rapport aux projets d’infrastructures[v]. À part les investissements miniers et la réhabilitation de quelques infrastructures en dehors de la capitale, la plupart des investissements étrangers sont concentrés à Kinshasa[vi], dans des secteurs tels que la télécommunication, la construction, les banques, le commerce de détail et les services.

Globalement, ces clivages sont principalement liés aux effets de la décroissance chinoise, à une administration fiscale peu rigoureuse et à la mauvaise application des politiques structurelles et sectorielles en matière de gouvernance publique, de passation des marchés

Ralentissement chinois et cours des métaux

Les principaux partenaires commerciaux de la RDC sont l’Union européenne dont, principalement, la Belgique et la France, suivis de la Chine, de l’Afrique du Sud et des États-Unis[vii]. Mais, la majorité des importations ont pour provenance la Chine, et actuellement l’Angola pour l’approvisionnement de Kinshasa, notamment en ciment gris, en produits d’alimentations et d’autres produits de grande consommation, via le poste frontalier de Lufu au Kongo-Central. La RDC est l’un des principaux points d’entrée de la Chine en Afrique centrale[viii]. Les activités de commerce et d’investissement chinois dans les secteurs minier, forestier et des infrastructures en RDC ont considérablement augmenté ces dix dernières années[ix]. D’autres investissements importants pourraient se concrétiser au cours des prochaines années. Les chiffres sont difficiles à vérifier mais 93 % du cobalt utilisé par la Chine proviendrait directement de RDC[x].

Les effets du ralentissement de l’économie chinoise se font cruellement sentir dans le secteur minier. Le premier trimestre 2016 a été marqué par une chute importante de la production minière par rapport au même trimestre de 2015 : cuivre (-11,8%), cobalt (-16,3%), or (-16%), diamant (-16,8%), zinc (-50,3%), cassitérite (-12,7%), colombo-tantalite (-26,2%) et wolframite (-100%)[xi], ainsi que du cours de ces métaux et minerais. Plusieurs entreprises ont arrêté leur production au Katanga, certaines temporairement, d’autres définitivement.

La chute des recettes minières, principalement celle du cuivre, a entraîné un regain de l’inflation, de 11% depuis juillet 2016, également due à l’accroissement de la demande des devises par rapport à l’offre sur le marché interbancaire et parallèle.

TVA, traçabilité, bancarisation et prédation voilée

Dans le but d’accroitre son assiette fiscale et de générer plus de recettes, la RDC a, dès janvier 2012, opté pour l’imposition d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en remplacement de l’Impôt sur le chiffre d’affaires qui affichait ses limites. Il s’agissait également de s’aligner sur les normes de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), à laquelle elle venait d’adhérer[xii]. S’il est évident que la facturation permettant la traçabilité de cet impôt pose problème, il apparaît clairement que le gouvernement a davantage déboursé pour rembourser la TVA qu’il n’a  réalisé de gains entre 2015 et 2016[xiii]. Il faut néanmoins noter que le recours à la TVA est considéré comme l’un des facteurs ayant permis d’augmenter les recettes fiscales, dont la part dans le PIB a triplé entre 2003 et 2012, alors que la TVA constituait près de 50 % de l’impôt indirect collecté en 2013[xiv]. En outre, la mécanique des finances publiques est défaillante car les différents services administratifs ne travaillent pas en synergie. Les trois régies financières d’envergure nationale (la Direction Générale des Impôts, la Direction Générale des Douanes et Accises et la Direction Générale des Recettes Administratives, Judiciaires, Domaniales et de Participations) ne sont pas interconnectées entre elles, encore moins avec les régies des finances provinciales. Avec un système fiscal où l’opérateur économique ou social dispose d’une sorte de libre arbitre dans la déclaration et le paiement de ses impôts, le poids économique de la gestion des recettes fiscales et l’exposition à la fraude sont des risques majeurs. Le contribuable est supposé déclarer la matière imposable et l’administration fiscale ou parafiscale doit recevoir et traiter les déclarations.

À l’ère des TIC, une bonne administration fiscale transparente présume aussi que les ventes sont informatisées et que la fourniture de factures, pour tout achat, est obligatoire. Ce n’est pas encore le cas en RDC. D’où, des ressources considérables qui échappent au fisc.

Le secteur minier est le plus important contributeur au PIB. En 2012, cette contribution se situe autour de 30% par rapport à un PIB évalué à environ 29 milliards de dollars US[xv]. En dépit de cette importante contribution, les recettes minières ne représentent qu’à peine 10 % des recettes budgétaires de 2012, soit 349,2 milliards sur 3612,7 milliards de francs congolais (soit environ 4 milliards de dollars américains.

Cette augmentation pourrait être générée par un meilleur encadrement des régies financières et la traçabilité des ressources minières. Actuellement le processus de traçabilité n’a pour cible que les exploitants artisanaux. Mais les grandes sociétés minières installées au Katanga, en Ituri et dans le Haut-Uélé sont aussi impliquées dans des scandales de corruption, parfois avec la complicité de l’élite locale. En novembre 2016, un rapport de l’ONG Global Witness[xvi] a révélé qu’en 2015 la Gécamines a cédé des droits de redevances d’un projet minier estimé à 880 millions de dollars détenu et opéré par une entreprise cotée à la Bourse de Londres à une firme offshore appartenant à Dan Gertler, un proche du président de RDC – presque deux fois l’allocation budgétaire aux dépenses de l’enseignement primaire et secondaire en 2016[xvii].

Par ailleurs, la bancarisation[xviii] de la paie du personnel de la fonction publique a permis d’élargir le secteur financier et bancaire. Mais la gestion des reliquats – salaires qui étaient jadis versés à un personnel fictif[xix] – pose encore problème, d’où la nécessité de mettre en place un mécanisme de suivi et de contrôle, entre la Banque centrale, le ministère de la Fonction publique et le ministère du Budget.

Épurer l’économie informelle ?

Dans un contexte national complexe, disparate et insaisissable, le pays doit revoir considérablement le mode de gestion de ses ressources naturelles pour que les dividendes de celles-ci puissent servir au développement et bénéficier à toute la population. Une exploitation rationnelle de ces ressources devrait générer des revenus suffisamment importants afin de soutenir des activités socio-économiques capables de contribuer à la réduction de la pauvreté. Afin de faire entrer le secteur informel dans l’économie formelle – ce qu’on appelle « processus de formalisation » »[xx] – des approches novatrices sont nécessaires, notamment grâce au recours à la microfinance. Dans la microfinance, les prêts, les dépôts et les autres contrats de services doivent contenir des éléments de l’économie formelle, sans être aussi sophistiqués que les services des banques classiques.

En outre, un cadre national de politiques intégrées devrait être adopté pour lutter contre la pauvreté, afin d’offrir un exemple de formalisation rapide. Cela permettrait d’accélérer la création d’emplois dans l’économie formelle d’une manière plus rapide que dans l’informel. Des politiques publiques innovantes devraient cibler des catégories de personnes difficiles à atteindre, comme les travailleurs indépendants et les PME, pour faciliter leur transition vers l’économie formelle. Néanmoins, tant que les dispositions interdisant le cumul des marges bénéficiaires et le commerce de détail par les ressortissants étrangers[xxi] ne seront pas formellement mises en application, le relèvement du niveau de vie de la population congolaise posera problème. En violation de ces dispositions, des Chinois, des Indiens et des Libanais exercent aussi le « petit commerce » et appliquent des prix très bas et des salaires en dessous du SMIG[xxii], bloqué depuis des années à l’équivalant de 3 dollars américains par jour[xxiii], ce qui a un impact sur le volume de création et de maintien des nouveaux emplois.

L’auteur

Marcel-Héritier Kapitene, titulaire d’une licence en sciences économiques et financières, est chercheur stagiaire au GRIP.

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pdf DOSSIER ÉLECTIONS RDC – Économie congolaise : entre une croissance en trompe-l’œil et un social déconnecté


[2]. PNUD, Rapport OMD 2000-2015 – Évaluation des progrès accomplis par la République démocratique du Congo dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement, septembre 2015.

[3]. « Perspectives économiques en Afrique 2016 », Banque Africaine de Développement, 15e édition, 2016.

[4]. Herderschee J., Mukoko D. & Tshimenga M. (2012), Résilience d’un géant africain. Accélérer la croissance et promouvoir l’emploi en République démocratique du Congo, vol. 2 : études sectorielles, Kinshasa, Banque mondiale.

[v]. Braeckman Colette. « En République démocratique du Congo, un double scandale. » Un monde d’inégalité. L’état du monde en 2016. Paris : La Découverte, 2015, 250 p. (p.220-226).

[vi]. « Vivre et travailler en RDC », Mobilité professionnelle entre la Belgique et la RDC, Ministère fédéral de l’intégration sociale belge, 2007.

[vii]. Organisation mondiale du commerce, Examen des politiques commerciales – Rapport de la République démocratique du Congo, WT/TPR/G/240(10-5376), 20 octobre 2010, p.5

[viii]. « « Où est passé l’argent chinois » investi en RDC ? », Le Monde, 5 juillet 2016.

[ix]. IIED, « La situation des investissements chinois en République démocratique du Congo », Briefing – Projet Gouvernance Forestière Chine-Afrique, juin 2015.

[x]. « Navigating the New Normal: China and Global Resource Governance », Chatham House, 28 janvier 2016.

[xi]. « Industrie minière en RDC – Premier trimestre 2016 », Chambre des Mines – Fédération des entreprises du Congo, mai 2016.

[xii]. Matenda Athanase, L’introduction de la TVA en République démocratique du Congo, L’Harmattan, 2015.

[xiii]. « Bahati critique le choix de Matata », 7sur7.cd, 6 avril 2016.

[xiv]. Stéphane Ballong, « RD Congo : le ras-le-bol fiscal des patrons », Jeune Afrique, 27 mai 2014.

[xv]. Muhigirwa Rusembuka Ferdinand, « Vers une «bonne gouvernance » du secteur minier de la République démocratique du Congo? », Alternatives Sud, vol. 20-2013/99.

[xviii]. En RDC, ce terme désigne la paie des taxes et salaires par voie bancaire, contrairement à la période avant 2010 où elles étaient faites au comptant, avec les risques inhérents de détournement et de corruption

[xix]. La bancarisation de la paie des fonctionnaires de l’État avait permis à l’État congolais d’économiser 5 millions USD, mais aussi de dénicher 3 500 fonctionnaires fictifs, selon l’ancien Premier ministre Matata Ponyo qui n’a pas précisé où cette économie serait réaffectée. Lire « 874 142 agents et fonctionnaires de l’État bancarisés en 2013, le dur reste dans les fins fonds des provinces », Business et Finances, 8 février 2014.

[xx]. CD Echaudemaison, Dictionnaire d’Économie et des Sciences sociales, Nathan Paris 1993, p. 143.

[xxi]. Loi n°73/009 du 5 janvier 1973 modifiée par la loi n°74-014 du 10 juillet 1974.

[xxii]. « RDC : des Chinois pris pour cible à Kinshasa », Le Monde, 28 janvier 2015.