La crainte d’un désinvestissement des États-Unis vis-à-vis de la sécurité des États européens de l’OTAN a ravivé ces dernières semaines le débat sur la réintroduction du service militaire obligatoire en Allemagne et plus largement en Europe. Ce débat avait déjà émergé en réaction à l’agression russe contre l’Ukraine en 2022. Confronté à des difficultés dans le recrutement de volontaires pour l’armée allemande (Bundeswehr), le ministre de la Défense, Boris Pistorius (du Parti social-démocrate, SPD), avait plaidé en juin 2024 pour l’introduction d’un service obligatoire sélectif inspiré du modèle de conscription suédois. Suite à la dissolution de la coalition gouvernementale, cette proposition de réforme n’avait toutefois pas été adoptée.

« Face à l’évolution des menaces et des structures d’alliances mondiales », la CSU a demandé une accélération dans le débat sur la réintroduction d’un service militaire obligatoire »

Dans le contexte des élections fédérales anticipées de février 2025, la réintroduction de la conscription est une demande qui a été portée principalement par les représentants des chrétiens-démocrates (CDU/CSU). « Face à l’évolution des menaces et des structures d’alliances mondiales », le député CSU Florian Hahn a ainsi demandé une accélération dans le débat sur la réintroduction d’un service militaire obligatoire. « En 2025, les premiers conscrits devront franchir les portes des casernes », a averti le porte-parole du groupe parlementaire CDU/CSU au Parlement. L’Allemagne aurait maintenant besoin d’une « dissuasion crédible par une capacité de montée en puissance du personnel».

La question du rétablissement du service militaire obligatoire trouve un écho dans une partie de l’opinion publique. Selon le dernier recensement réalisé par le Centre d’histoire militaire et des sciences sociales de la Bundeswehr, une majorité absolue des citoyens allemands estimerait que le rétablissement de la conscription renforcerait la capacité de la Bundeswehr à défendre le pays et ses alliés, et contribuerait à surmonter ses difficultés de recrutement.

Toujours inscrit dans la loi

Sur le plan juridique, la réintroduction du service militaire obligatoire serait aisée. Une majorité simple au sein du parlement fédéral (Bundestag) suffirait à cet effet. La conscription – à laquelle sont soumis tous les hommes de nationalité allemande à partir de 18 ans – bien que suspendue en temps de paix depuis 2011, reste inscrite à l’article 12a de la constitution allemande. Etabli en 1956, le service militaire obligatoire durait initialement douze mois. De 1962 à 1972, celui-ci a été prolongé à 18 mois, puis progressivement raccourci pour atteindre 6 mois au moment de sa suspension.

Dans leur accord de gouvernement, présenté le 9 avril dernier, les partenaires du SPD et de la CDU/CSU se sont finalement accordés sur une formule de compromis. Selon leur conception inspirée par le modèle suédois, le service militaire restera, dans un premier temps, volontaire. L’amélioration de l’attractivité du service militaire, conjuguée à des opportunités de formation et de qualification, est censée inciter l’engagement de volontaires dans des carrières militaires à long terme. Néanmoins, les signataires de l’accord s’engagent également à mettre en place les mesures requises pour l’enregistrement et le contrôle des individus susceptibles d’être astreints à un service militaire obligatoire.

« Si l’armée allemande ne parvient pas à atteindre ses objectifs de recrutement dans le futur, la réintroduction du service militaire obligatoire reste une option »

Bien que le service militaire demeure, a priori volontaire dans un premier temps, l’idée d’un service obligatoire est celle sur laquelle s’appuient les partis de la CDU/CSU arrivés en tête des élections législatives. Bien que les chrétiens-démocrates aient dû composer avec la position de leurs partenaires de coalition sociaux-démocrates, si l’armée allemande ne parvient pas à atteindre ses objectifs de recrutement dans le futur, la réintroduction du service militaire obligatoire reste une option. Les conditions préalables à la mise en œuvre d’un tel service ont d’ores et déjà été prévues dans l’accord de gouvernement.

En Allemagne et ailleurs en Europe

Comme indiqué précédemment, au-delà de l’Allemagne, la question du rétablissement du service militaire émerge dans d’autres pays d’Europe, notamment en Italie et aux Pays-Bas. L’exemple du débat allemand permet ainsi de fournir des éléments d’analyse qui contribuent à la compréhension de la question du retour de la conscription dans d’autres pays d’Europe. En effet, la réintroduction de la conscription, bien que présentée comme une solution aisée pour pallier aux difficultés de recrutement de la Bundeswehr, suscite de nombreuses interrogations.

Cet éclairage s’articule autour de ces interrogations et procède en trois étapes. Il se penche d’abord sur le contexte politique international dans lequel s’inscrivent les demandes d’un rétablissement du service militaire obligatoire (1). Il met ensuite en lumière les obstacles pratiques à la mise en œuvre d’un nouveau service militaire liés au manque d’infrastructures (2). Enfin, il aborde les coûts socio-économiques et les questions d’égalité associés à la conscription (3).